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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

sixième de son territoire en friche, sans possibilité de colonisation au dedans, sans le génie de la colonisation au dehors, la France, qui peut augmenter l’aisance des propriétaires, en perfectionnant l’agriculture, ne peut guère en étendre le nombre. Si les grands travaux d’utilité publique, vers lesquels l’opinion pousse si heureusement le pouvoir, si des cultures nouvelles, des procédés moins dispendieux et des communications plus rapides élèvent le produit moyen de l’hectare de 50 à 100 francs, la fortune des possesseurs du sol aura doublé ; mais je ne vois pas en quoi le sol en serait plus subdivisé.

Un grand fait s’est manifesté il y a quarante ans, qui ne paraît plus pouvoir se reproduire. Lorsque éclata la révolution française, des masses considérables d’immeubles étaient aux mains des deux ordres privilégiés, propriétés morcelées aux adjudications, relevées de la main morte, dégagées des redevances féodales, acquises enfin, à vil prix, à titre de nationales, par les hommes d’affaires qui les avaient gérées, les fermiers qui les avaient exploitées, et qui semblèrent destinées, dans les vues impénétrables de la Providence, à devenir pour la classe moyenne comme une dotation inhérente au pouvoir politique auquel elle était conviée. Cette révolution dans la propriété, ou plutôt cette notable extension du nombre des propriétaires, fut sans contredit le fait capital de tous nos bouleversemens ; c’est par lui que la bourgeoisie s’est maintenue, en 1815, contre la réaction aristocratique, en 1830, contre les tentatives de la démocratie et les complots républicains. Tant qu’un changement analogue n’aura pas eu lieu, tant qu’une part importante de la propriété bourgeoise n’aura pas été absorbée, comme la propriété noble et cléricale le fut à cette époque, l’heure de la démocratie ne sonnera pas, et l’organisation combinée du pouvoir, de la richesse et des lumières demeurera inébranlable.

Or, il semble que la France a fait assez l’épreuve de ses forces pour n’avoir pas à craindre aujourd’hui l’une de ces commotions qui font trembler le sol jusqu’aux abîmes. Et quant au mouvement naturel de la propriété, il paraît hors de doute qu’il est à peu près arrivé au summum de la division possible : non que les grandes fortunes ne soient destinées à se décomposer encore ; le Code civil frappe incessamment de son bélier les murs de ce qui nous reste de châteaux, et nul ne peut méconnaître que les prescriptions de