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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

solidement la paix matérielle au milieu de la guerre morale. Il faut donc, dans l’intérêt même de cet avenir plus prospère et plus calme, prendre des positions, suppléer aux sympathies qu’on nous refuse par des combinaisons fermes en même temps que prudentes ; il ne faut pas surtout que la France se sente isolée, et que son immense activité reste sans aliment, car elle déchirerait ses propres entrailles. La colonisation sérieuse de l’Afrique, la tutelle politique de l’Espagne, ces deux mesures sortaient impérieusement, non du génie même de la bourgeoisie, mais de notre situation vis-à-vis de l’Europe, qui doit comprendre qu’entre nos mains sont passées ces clés de l’antre des tempêtes dont un ministre étranger s’était fait des armes, et vis-à-vis des passions intérieures, auxquelles il faut donner quelque pâture. En Afrique et en Espagne, ce seraient la guerre et la liberté sans propagande, la guerre civilisatrice, la liberté monarchique ; ce serait, en un mot, l’habile et précieuse transition du génie du passé au génie de l’avenir.

Dieu merci, le propagandisme révolutionnaire est mort, et la bourgeoisie a eu l’honneur de le frapper au cœur. Ce sera, certes, chose heureuse de sortir enfin de la politique missionnaire et de vivre pour soi-même. Déjà le char des idées nouvelles n’est-il pas assez vigoureusement lancé en Europe pour se passer de notre concours, et la France ne saurait-elle substituer un jour à la propagande de ses armes la propagande de ses exemples ? De quel prix les nations ne paient-elles pas cette poésie révolutionnaire distillée du plus pur de leur sang ? Que la bourgeoisie sache y renoncer de bonne-grace, qu’elle ne se fasse pas un tempérament factice, et qu’elle ne se croie pas obligée d’avoir des ovations et des banquets patriotiques, à peu près comme les Anglais ont des cantatrices et des danseuses.

Le sénat romain écrasait le monde pour orner les pompes de quelques triomphes ; pour fonder sa suprématie maritime, l’Angleterre martyrisa l’Irlande et accola la plus hideuse misère à la plus scandaleuse opulence. En France, les conquêtes de la république tombèrent en héritage à un soldat, et celui-ci porta la guerre de Lisbonne à Moscou, pour la terminer aux buttes Montmartre. Attila en finit de Rome, O’Connell de l’Angleterre aristocratique, et les traités de 1815 sortirent de nos victoires. Si le gouvernement bourgeois manque d’éclat, il n’aura du moins à se faire