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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

Si une idée politique a poussé en peu de temps de profondes racines, c’est, sans nul doute, la division administrative du territoire français et la constitution que l’an vii y a superposée. Dire à un grand peuple : « Vous allez cesser d’entendre les noms qui jusqu’ici ont retenti à vos oreilles ; ces provinces dont vous aimez les traditions, cette gloire locale dont vous êtes fiers, tout cela va s’évanouir en un jour ; votre histoire sera pilée dans un mortier, sans qu’il en reste une seule page ; puis, en place de ces glorieux souvenirs, vous aurez quatre-vingt-six cases d’échiquier, découpées au hasard selon le cours d’une rivière inconnue ! » Tenir d’autorité un tel langage au peuple le plus fier et le plus intelligent du monde, cela paraît étrange ; être obéi sans résistance, cela doit paraître plus étrange encore. L’avenir pourtant consacra vite cette tentative. L’assemblée constituante rajeunit la France en la lançant, dégagée de son passé de quatorze siècles, dans une ère alors bien sombre ; œuvre d’audace et de foi qui est à elle seule la révolution tout entière.

La division départementale préparait cette mobilisation de la terre, cette subordination de l’élément historique ou fixe à l’élément industriel ou viager, sur laquelle doit reposer en Europe le gouvernement de la bourgeoisie. En 1789, la constituante en proclama le principe ; combattu cinquante ans, il n’a définitivement conquis le pouvoir qu’au 13 mars 1831.

Malgré toutes les idées qui se sont fait jour depuis six ans, on n’a tenté aucune attaque vraiment sérieuse contre l’ensemble de nos institutions administratives. L’école démocratique s’est presque toujours maintenue dans la sphère de la politique générale, abordant surtout les questions diplomatiques, parce que la guerre couve toujours au fond de sa pensée comme le levain par lequel elle fermente. Elle a compris que le pays ne la suivrait pas si elle engageait le combat contre les seuls intérêts vraiment vivans parmi nous. Aussi a-t-elle parlé de réforme et d’irresponsabilité royale, et fort peu de décentralisation ou d’administration collective. Elle a voulu la guerre contre toute l’Europe sans vouloir sérieusement une attribution de plus pour nos conseils municipaux. Cependant si l’avenir prochain de la France appartenait à la démocratie, si le self-government tendait en effet à prévaloir parmi nous, le premier indice de ce grand mouvement ne serait-il pas l’affaiblissement