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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

cratie et la bourgeoisie, ou, pour se placer à un point de vue plus européen, entre le génie guerrier et le génie pacifique : aujourd’hui elle n’est plus qu’entre les deux élémens constitutifs de l’ordre nouveau qui aspirent non à s’entre-détruire, mais à dominer l’un sur l’autre. La querelle de la doctrine et du tiers-parti n’a pas une moindre portée. C’est, pour grossir les choses afin de les faire ressortir, la lutte entre le hautain despotisme de la chaire et l’esprit impolitique du barreau ; et cette lutte, avec ses oscillations diverses, durera autant que la monarchie actuelle, qui est comme le point d’équilibre de ces forces opposées. À ces deux pôles viendra se rallier, par une affinité secrète, tout ce qui, d’une part, dans l’ancienne aristocratie, de l’autre dans l’école démocratique, voudra entrer dans le mouvement de la société telle qu’elle est assise de nos jours. Puis, en définitive, si à l’exemple du fédéralisme en Amérique, le doctrinarisme succombe sous des forces plus nombreuses, le tiers-parti, fondu dans l’opposition dynastique, se trouvera face à face avec la démocratie, qui, elle aussi, n’aura rien appris ni rien oublié. Alors la bourgeoisie, privée de l’un de ses élémens constitutifs, tenterait probablement une résistance vaine ; le parti populaire triompherait sans que la France se fût préparée à supporter cette victoire, et l’on serait sorti de la monarchie sans être en mesure de s’établir dans la république. Tel apparaît l’avenir avec ses dangers et ses chances, avenir que les partis s’estiment sur le point de saisir, et qui, pour de longues années, on peut l’espérer, doit s’enfuir encore devant eux.

Nous voici arrivés aux limites de cet article, et je m’aperçois que la principale question nous échappe. Nous avons montré la bourgeoisie exploitant l’Europe comme une grande usine, l’organisant comme une ruche d’abeilles, constituant simultanément dans son sein le mandarinat de la science et la hiérarchie du travail. Mais, certes, ce résumé serait la critique la plus sanglante d’un tel avenir, l’anathème le plus décisif prononcé sur lui, si une haute inspiration morale ne venait le légitimer et le vivifier.

L’homme ne vit pas seulement de pain, et ses destinées, dans le temps, préparent ses destinées-immortelles. Pour lui, la terre ne sera jamais qu’une figure qui passe, la vie que le rêve d’une ombre. Vainement rendrez-vous cette terre plus riche et plus belle : à moins de supprimer la mort et d’étouffer ces dégoûts profonds,