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MADAME DE PONTIVY.

humide. Ces sortes d’images n’ont rien de commun avec lui. Ce n’est pas même un diamant qui peut être rayé. Car, lui, il est l’ame même ; il vit d’une vie invisible ; il se guérit de ses propres baumes, il se répare, il recommence, il n’a pas cessé ; il va jusqu’à la tombe et s’éternise au delà. Voilà bien l’amour, tel qu’il mérite d’être rappelé sans cesse, tel qu’on l’a vu en de tendres exemples. Plus d’un (et des plus beaux sans doute) ont été cachés : car c’est le propre de l’amour le plus vrai de chérir le mystère et de vouloir être enseveli. Dévoilons-en pourtant, avec la pudeur qui sied, un modèle de plus, déjà bien ancien, et dont les monumens secrets nous sont venus dans un détail heureux où nous n’aurons qu’à choisir. On y verra, en une situation simple, toute l’ardeur et toute la subtilité de ce sentiment éternel ; on y verra surtout la force de vie et d’immortalité qui convient à l’amour vrai, cette impuissance à mourir, cette faculté de renaître, et cette jeunesse de la passion recommençante avec toutes ses fleurs, comme on nous le dit des rosiers de Pæstum qui portent en un an deux moissons.

Madame de Pontivy, d’abord mademoiselle d’Aulquier, orpheline, avait été appelée par une tante à Paris, et placée avec la faveur de Mme de Maintenon à la maison de Saint-Cyr. Au milieu de cette génération gracieuse, jaseuse, légère et peu passionnée, qui allait devenir l’élite des jeunes femmes du commencement de Louis XV, elle gardait sa sensibilité concentrée et dormante. Une sorte de fierté modeste, ou de sauvagerie timide, isolait son ame et permettait de la méconnaître. On l’eut crue indifférente de nature, quand seulement elle était indifférente aux riens, et qu’elle attendait. Elle ne vit point Racine et n’eut point ses leçons pour Esther : il était mort qu’elle naissait à peine. Mais les traditions du tendre instituteur s’étaient transmises ; elle vit jouer ses pièces sacrées, elle y eut son rôle peut-être ; elle dut néanmoins peu réussir à ces jeux, comme si elle se réservait pour les affections sérieuses.

Un voile couvrait sa voix ; un voile couvrait son ame et ses yeux et toutes ses beautés, jusqu’à ce que vînt l’heure. Sa vie devait être comme ces vallées presque closes, où le soleil ne paraît que lorsqu’il est déjà ardent, et sur les onze heures du matin. Pour ses sentimens, comme pour ses agrémens, il y avait eu peu