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minait au dedans les jours de Mme de Pontivy. L’amour, l’amour même et l’amour seul ! Le reste était comme anéanti à ses yeux ou ne vivait que par là. Les ruses de la coquetterie et ses défenses gracieusement irritantes, qui se prolongent souvent jusque dans l’amour vrai, demeurèrent absentes chez elle. L’ame seule lui suffisait ou du moins lui semblait suffire ; mais quand l’ami lui témoigna sa souffrance, elle ne résista pas, elle donna tout à son désir, non parce qu’elle le partageait, mais parce qu’elle voulait ce qu’elle aimait pleinement heureux. Puis, quand les gênes de leur vie redoublaient, ce qui avait lieu en certains mois d’hiver plus observés du monde, elle ne souffrait pas et ne se plaignait pas de ces gênes, pourvu qu’elle le vit. Elle était divinement heureuse quand elle avait pu, durant une absence de Mme de Noyon, passer une journée entière avec lui sous prétexte d’aller à la Visitation de Chaillot voir une amie d’enfance, et elle désirait alors avec passion jours et nuits semblables. Elle n’était pas moins heureuse divinement, quand elle l’avait vu une demi-heure de soirée au milieu d’une compagnie qui empêchait toute confidence, et ce bonheur dû au seul regard et à la présence de la personne chérie la possédait tout entière sans qu’elle crût manquer de rien. Il est des poisons si violens, qu’une goutte tue aussi bien que le feraient toutes les doses. Son amour, en sens contraire, était pour elle un de ces généreux poisons. La violence du philtre rejetait les mesures. Elle vivait autant d’un quart d’heure de présence quasi muette, qu’elle aurait vécu d’une éternité partagée.

M. de Murçay était aussi bien comblé ; mais le bonheur dans chacun a ses teintes ; elles étaient pâlissantes chez lui. Il s’y mêlait vite une sorte de tristesse qui en augmentait peut-être le charme, mais qui en dérobait l’éclat. C’était l’aspect habituel de son amour : il n’y manquait rien, mais une certaine ardeur désirable ne le couronnait pas. Cet esprit si fin, cette ame si tendre, qui avait eu tous ses avantages dans les préambules de la passion, se reposait volontiers maintenant et se perdait dans les flammes de son amie, comme l’étoile du matin dans une magnifique aurore. Mme de Pontivy remarquait par instans ce peu de rayonnement d’un cœur au fond si pénétré, et elle lui en faisait des plaintes tendres qu’apaisaient bientôt de parfaites paroles ou mieux des soupirs brûlans ; et puis, son propre soleil, à elle, couvrait tout. Ils étaient