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rait de le persuader aux journalistes véritables ; bon Dieu ! en pareil cas, que deviendrions-nous ?

Si une fois, mon cher monsieur, nous étions atteints et convaincus de journalisme, c’est fait de nous ; telle est notre opinion sincère. Et pourquoi ? direz-vous peut-être. — Parce que, comme dit M. Berryer.

Mais, tenez, nous vous le dirons, et retenez bien ces paroles : Parce que, d’une façon ou d’une autre, d’un côté ou d’un autre, un jour ou l’autre, pour un motif ou pour un autre, nous recevrons une tuile sur la tête. Pyrrhus en mourut, dit l’histoire. Pyrrhus, monsieur, roi des Épirotes, était un bien autre gaillard que nous : il n’inventa point la pyrrhique dont parle l’avocat Patelin ; ce fut un certain fils d’Achille. Mais Pyrrhus le Molosse ne dansait point ; il combattait à Héraclée, où les Romains jouaient du talon. Il y avait son épée pour archet, et pour musique les cris des éléphans ; il ravagea la Pouille et la Sicile ; Sparte, Tarente, l’appelèrent à leur secours ; vainqueur partout, hors à Bénévent, dont aujourd’hui M. de Talleyrand est prince. Tout cela n’empêcha point qu’à Argos il ne reçût une tuile sur la nuque ; après quoi survint un soldat, qui, le voyant étendu raide mort, lui coupa vaillamment la tête. Voilà le sort que nous craignons, et avec moins de gloire et de profit.

Nous savons bien que, dans votre Revue, nous n’aurions pas affaire aux journaux ; mais ne se pourrait-il qu’ils eussent affaire à nous ? Je vous demande si cela plaisante. Mais je suppose que, bien entendu, nous y mettions de la prudence. Je veux d’abord que nous ne traitions jamais que des choses les plus générales, j’entends de ces choses qui ne font rien à personne, qu’on sait par cœur. Croyez-vous que cela suffise ? que nul ne se plaindra, nul ne clabaudera ? Ah ! que, si vous croyez ceci, vous est peu connue la gent gazettière ! Vous vous imaginez bonnement, vous, monsieur, qui êtes au coin de votre feu, et qui ne savez qui passe dans la rue, ni si le voisin est à sa croisée ; vous vous imaginez qu’on peut impunément dire au public qu’on aime les pois verts ? les pois verts, peu importe, ou la purée, ou la musique de Donizetti, enfin la vérité la plus banale, que nos vaudevilles sont plats et nos romans morts-nés ? Eh bien ! monsieur, désabusez-vous, on ne dit rien, n’écrit rien sans péril, pas même qu’Alibaud est un assassin,