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modernes, Gluck, a traité cette scène. Stradella, c’est Orphée avec les conditions de l’art catholique ; Orphée, quel poème ! quel chef-d’œuvre ! une mélodie incomparable, timide d’abord, mais qui monte et s’élève à travers la voix rauque des enfers, et finit par la dominer : deux motifs sublimes en présence ; à mesure que l’un grandit et prend force, l’autre diminue et s’éteint. Par quelles gradations insaisissables, par quelles mystérieuses nuances le grand poète a dû passer pour amener ainsi ces natures farouches et brutales jusqu’à la sensibilité humaine ! Avec de pareils obstacles il était presque impossible à M. Niedermeyer de réussir ; aussi sa musique, excellente d’ailleurs, et qui dans toute autre occasion eût été fort goûtée, échoue ici complètement. M. Niedermeyer s’est porté lui-même le plus rude coup qui se puisse recevoir ; le souvenir d’Orphée, qui plane incessamment sur cette scène, lui ravit l’attention de tous ; on s’élance vers le champ de Gluck comme par instinct, et dans cette préoccupation où le plonge le souvenir du chef-d’œuvre, l’esprit finit par oublier tout-à-fait le chanteur qui psalmodie au pupitre et l’orchestre qui s’épuise (ô misère !) à traduire les paroles du chanteur en imitations laborieuses. M. Niedermeyer et M. Halevy peuvent désormais se donner la main ; ils ont, tous les deux, entrepris avec le même succès une chose impraticable, l’un en voulant refaire, dans Stradella, la scène d’Orphée, l’autre celle des imprécations du grand-prêtre dans la Vestale.

Le quatrième acte, tout entier au triomphe de Stradella, ne se compose guère que d’un ballet assez mesquin et d’un finale dramatique et bien conduit. En général, les airs de danse manquent de verve et de caractère ; il semble que le musicien aurait dû se souvenir là, plus que partout ailleurs, que son action se passait en Italie. Après les saltarelles si vives et si charmantes de la Muette, on n’était guère disposé à se laisser ravir par ces petits motifs, qui n’ont d’original que la mesure. Vraiment, M. Niedermeyer a du malheur : tantôt c’est la grande figure de Gluck qu’il heurte de front ; tantôt c’est M. Auber qu’il coudoie. À Dieu ne plaise qu’il entre le moins du monde dans mon intention de comparer Gluck à M. Auber, l’auteur d’Iphigénie à l’auteur de Gustave ! Cependant il est bon de s’entendre, M. Auber a dans certaines parties de son art une supériorité incontestable, et l’on aurait grand tort de le traiter sans façon.

Je ne dis rien du cinquième acte, évidemment écrit avec des préoccupations de mise en scène où la critique n’a rien à voir. Je pense qu’il faudrait consulter là-dessus le machiniste ; s’il est content, tout va bien ; c’est d’ailleurs, d’un bout à l’autre, une musique plus que suffisante pour accompagner, au bruit des cloches, du canon et des tambours, le mariage d’un doge avec la mer.

Maintenant, malgré certaines qualités mélodieuses, malgré le style