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affirmation était une double bévue. Car s’il est vrai que Hume et Berkeley, en partant de la doctrine de Locke, sont arrivés, l’un à douter des relations légitimes de cause et d’effet, l’autre à nier l’existence de la matière, il est également vrai que la philosophie française du xviiie siècle n’a souscrit ni au doute de Hume, ni à la négation de Berkeley. Quant à l’existence de Dieu, s’il est arrivé à quelques philosophes sensualistes de la France de la nier, cette négation, dans leur bouche, n’a jamais eu le caractère scientifique et impérieux de la négation exprimée sur le même sujet par la philosophie critique de l’Allemagne, par Emmanuel Kant. Or, assurément, Emmanuel Kant n’a rien de commun avec l’école sensualiste de la France. Et pourtant personne n’a jamais nié Dieu avec plus d’assurance que le professeur de Kœnigsberg. Si plus tard dans sa Raison pratique, il a proclamé le Dieu qu’il avait nié dans sa Raison pure, il ne faut pas oublier que son affirmation, dans le système de la philosophie critique, est loin d’avoir la même autorité que sa négation. La pensée de Kant a bien assez d’importance pour que M. Guizot en tienne compte, et pour qu’il n’impute pas au seul sensualisme une opinion partagée par la philosophie critique de l’Allemagne. Dans cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, le savoir n’eût pas été un mérite bien recommandable ; mais le bon sens conseillait à M. Guizot de ne pas discuter une question qu’il ignore.

Si nous insistons sur ces deux bévues, ce n’est pas que nous comptions le savoir encyclopédique parmi les devoirs du ministre de l’instruction publique. Mais il nous semble que M. Guizot, placé comme il est, n’a pas la même excuse qu’un homme du monde ; car il n’est pas même forcé d’ouvrir un livre pour s’éclairer sur une question, quelle qu’elle soit. Il a autour de lui, sous sa juridiction, des livres vivans, et qui répondent à toute heure. Ce qu’il ne sait pas, d’autres le savent pour lui. Toutes les parties de la science humaine sont à sa disposition, et s’il lui plaît d’interpeller un astronome, un philosophe, il est sûr de ne pas l’interpeller en vain. Il est donc coupable lorsqu’il parle sur une question comme pourrait le faire le premier étourdi. M. Guizot, que nous sachions, n’a pas l’habitude d’agir légèrement ; c’est pourquoi nous ne pouvons imputer au hasard les bévues de son discours. Il se présente une explication plus naturelle que nous adoptons. M. Guizot doit