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amical de ce prince encore prisonnier, M. Rœderer fut envoyé à Morfontaine où s’était retiré le roi Joseph, pour obtenir de lui une abdication déjà consommée par la défaite. À son retour, et je cite ce fait à cause de sa profonde signification, il trouva l’empereur avec le jeune roi de Rome sur ses genoux. – Eh bien ! lui dit Napoléon, à quoi se décide mon frère ? – Sire, répondit M. Rœderer, le roi Joseph croit toujours que, si votre majesté le veut, elle est assez puissante pour lui conserver son trône d’Espagne. – Il demande, répliqua l’empereur, que je lui conserve son trône d’Espagne ; et cet enfant que voilà, ajouta-t-il en montrant son fils, ne règnera jamais sur la France ! – L’empereur insista, et M. Rœderer réussit.

À la suite de cette négociation, M. Rœderer partit pour Strasbourg, où il devait, en qualité de commissaire impérial, pourvoir à la défense du territoire envahi. Mais tout fut inutile, et l’empire tomba en entier comme l’avait prévu l’empereur. Fidèle jusqu’au bout à Napoléon, M. Rœderer lui prêta de nouveau son assistance dévouée pendant les cent jours. Nommé par lui commissaire impérial dans le midi de la France et membre de la chambre des pairs, il se condamna à la retraite sous la seconde restauration, et il y resta pendant quinze ans.

Ici s’ouvre pour M. Rœderer une nouvelle carrière. Il passa de la vie agitée des affaires à la culture paisible des lettres, et l’homme d’état se fit historien. Ce fut au moment où la restauration ne le jugea point digne de rester membre de l’Institut, et prétendit sans doute en l’excluant de ce grand corps, ajouter à ses autres disgraces celle de l’esprit, que M. Rœderer acquit de nouveaux titres à la renommée littéraire, et se montra écrivain d’un ordre élevé et d’un talent rare.

Les hommes qui ont été long-temps dans les grandes affaires aiment l’étude de l’histoire ; elle les replace dans la société de leurs pareils, continue pour eux les spectacles auxquels ils sont accoutumés et leur redonne par l’imagination une partie de ce qu’ils ont perdu. L’histoire nationale attira surtout M. Rœderer, et il se plongea avec une ardeur passionnée dans les temps qui, par leurs troubles et leurs mutations, ressemblaient le plus aux nôtres. Les querelles des états-généraux en 1483, après la mort de Louis XI, le règne populaire de Louis XII, les dissipations financières et les établissemens monarchiques de François Ier, les guerres du protestantisme et de la ligue, furent l’objet de ses recherches et de ses explications. Il adopta, pour rendre ses impressions qui étaient toujours vives et ses jugemens qui n’étaient pas toujours impartiaux, des formes variées, tantôt celle du drame,