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fait anéanti, du moins beaucoup affaibli, où l’unité politique de la terre doit prédominer à l’ombre de la croix et du nom du Christ. Il est vrai qu’après ces magnifiques peintures, il ajoute que le peuple ne doit pas incarner ses sublimes espérances dans la boue qu’il foule aux pieds, qu’ici-bas il n’est entouré que de fantômes et d’ombres vaines mais c’est une ressemblance de plus avec les millénaires, qui faisaient précéder la jouissance du paradis d’un règne terrestre du Christ, qui devait durer mille ans.

Ici M. de La Mennais adhère tout-à-fait à ce mouvement de l’esprit humain, qui réclame le bonheur comme le but légitime de ses tendances et de ses efforts. Quand nous avons examiné la Déontologie de Bentham, traité net et concis de la morale exclusive de l’intérêt, nous avons signalé le mouvement de la philosophie moderne, qui, oubliant le ciel pour la terre, parce que le christianisme avait paru oublier la terre pour le ciel, excita Hume, Hartley, le marquis de Mirabeau, Helvétius, Priestley, Condorcet, Bentham, à chercher les conditions du bien-être et de la félicité humaine. Nous pouvons ajouter à la liste de ces travailleurs les noms de Saint-Simon et de Fourier et même celui de M. de La Mennais, qui est entièrement entré dans cette conspiration de l’esprit humain pour conquérir le bonheur. Seulement il a donné à cette opinion quelques couleurs empruntées à d’inévitables souvenirs ; il y a dans le prêtre de Bretagne quelque chose du millénaire Papias et de l’utopiste Fourier.

Cette tendance vers le bonheur terrestre étant manifeste, suivons maintenant la méthode de M. de La Mennais pour le conquérir légitimement. Nous assistons à une conversion éclatante. L’auteur de l’Essai sur l’Indifférence embrasse sans réserve la théorie de la souveraineté du peuple, telle qu’elle est formulée dans le Contrat social ; le droit pour lui n’est autre chose que la liberté, et la souveraineté du peuple, le résultat des souverainetés individuelles. Mais cette théorie du droit est incomplète et surannée et si notre siècle doit une partie de sa liberté et de ses progrès au génie de Rousseau, il s’est servi de ces progrès même pour améliorer l’héritage qu’il a recueilli.

Le droit n’est pas uniquement la liberté ; il trouve son essence dans l’union de l’intelligence et de la volonté, comme il trouve son plus parfait développement dans l’harmonie de l’association et de l’individualité.

L’association, loin d’abolir l’individualité, n’est possible que par elle. Si le principe du droit social est dans l’esprit humain, il suit que le développement individuel est aussi nécessaire à la société qu’à