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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

bien loin des riantes images que l’auteur a puisées dans la lecture des poètes païens, et qu’il sait si habilement naturaliser dans notre langue. Mais une fois en possession de cette comparaison, il la poursuit, et ne l’abandonne qu’après l’avoir épuisée. Grace à l’emploi laborieux de ce procédé, sa pensée prend un corps et devient véritablement visible, puis, par une transition à peine sentie, l’auteur se demande s’il n’est pas injuste envers ceux qu’il accuse, si l’or n’eût pas été sans pouvoir sur ses geôliers, si l’oubli n’est pas la chance de salut qui lui reste ; il fouille le passé, il interroge ses années de bonheur et de paix. N’a-t-il rien à se reprocher ? n’a-t-il jamais détourné sa vue des malheureux, et l’indifférence dont il se plaint n’est-elle pas un juste châtiment infligé au dédain qu’autrefois il a témoigné aux douleurs d’autrui ? Chacun des sentimens que j’indique est sculpté dans l’iambe d’André Chénier avec une admirable précision. Les vœux qui servent de conclusion à cette pièce, les souhaits de bonheur et de sérénité que le poète adresse à ses amis oublieux, respirent à la fois la tristesse et la résignation. C’est à peine si le prisonnier conserve l’espérance d’une liberté lointaine ; c’est à peine s’il entrevoit la chance d’échapper à la hache qui a déjà tranché tant de têtes. Pourtant il ne maudit pas ceux qui l’abandonnent ; il ne renonce pas à la vie, si amère qu’elle soit pour lui, et il leur dit de vivre dans la paix et la sécurité. Les reverra-t-il jamais ? Qui le sait ? Mais qu’importe ? libre ou prisonnier, réservé à la mort ou promis à l’air pur des champs, le bonheur de ses anciens compagnons de joie est encore pour lui une pensée consolante. Près de quitter la terre, séparé du monde des vivans, il aurait honte de conserver dans son cœur un sentiment d’égoïsme et d’envie ; seul avec ses espérances défaillantes, il n’est pas jaloux du bonheur de ceux qu’il attendait, et qui ne sont pas venus. Loin de là, il se console dans la pensée qu’ils auront encore des jours nombreux et prospères.

L’iambe adressé aux bourreaux barbouilleurs de lois n’a pas toute la pureté de la pièce précédente. Ici les développemens ne manquent pas, mais ils se pressent confusément, et les images entassées par le poète n’ont pas toute la valeur qu’elles pourraient avoir, parce qu’elles n’ont pas assez d’air pour se déployer librement. Cette remarque s’applique surtout à la première partie de la pièce ; car dès que le poète entreprend de prouver que sa plume, vaut une épée, sa pensée s’éclaire rapidement d’un jour abondant, et se dessine avec une grande précision. Son indignation, qui d’abord défendait aux paroles de s’ordonner, se transforme sans se calmer, et trouve