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les glorieux épisodes de l’histoire antique ; pour que les rapprochemens ajoutent au relief de la pensée, il faut qu’ils se présentent d’eux-mêmes et comme attirés par un aimant irrésistible. Mais pour satisfaire à cette condition impérieuse, il est indispensable que le poète soit familiarisé depuis longtemps avec les souvenirs qu’il évoque, qu’il ait vécu dans l’intimité des hommes dont il emprunte le nom, afin d’éclairer sa pensée. Or, ces études préliminaires sont aujourd’hui trop dédaignées, et lorsqu’il arrive aux poètes contemporains d’associer aux évènemens qu’ils célèbrent le souvenir d’un épisode antique, c’est presque toujours avec une sorte d’ostentation. On dirait qu’ils ont hâte de montrer ce qu’ils savent, et qu’ils craignent de ne pas retrouver l’occasion de mettre leur science en lumière. De là naît souvent une obscurité volontaire ; ils prodiguent les allusions, suppriment à plaisir les idées intermédiaires, et mettent le lecteur dans la nécessité de deviner. Pas une strophe de l’ode à Charlotte Corday ne mérite un pareil reproche. Chénier, en parlant de la Grèce, parle encore de sa patrie, et les noms qu’il choisit, pour honorer le courage viril d’une jeune fille, arrivent sur ses lèvres sans qu’il ait besoin de feuilleter ses souvenirs. Il est permis de reprocher à quelques parties de cette pièce une tension voisine de l’emphase ; la jeunesse de l’auteur explique suffisamment ce défaut ; et je crois même qu’il est difficile de célébrer le dévouement héroïque de Charlotte Corday sans mériter le même reproche qu’André Chénier. Mais lors même qu’il serait possible d’éviter l’emphase, l’ode d’André Chénier serait encore une œuvre digne d’étude ; car elle concilie heureusement la personnalité de la pensée et le respect des traditions ; elle est naturelle avec un air antique.

Louer la Jeune Captive est une tâche qui paraîtra sans doute bien inutile aux admirateurs d’André Chénier. Les sentimens exprimés par Mlle de Coigny sont si vrais, et se succèdent dans un ordre si logique ; les images qui servent de vêtement aux pensées de la jeune captive ont tant de grace et de pureté, qu’il semble superflu d’appeler l’attention sur cet ensemble harmonieux ; cependant je crois devoir signaler dans cette ode si justement populaire un mérite qui jusqu’ici a passé inaperçu. Le germe de cette pièce, qui défie la louange et qui échappe à toute analyse, tant le poète s’est identifié avec son personnage, se trouve dans une élégie de Tibulle ; mais quel autre qu’André Chénier aurait su tirer de ce germe la moisson dorée qui s’appelle la Jeune Captive ? Avec deux vers de Tibulle, André Chénier a composé une œuvre dont personne ne voudra ni ne pourra contester