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pour première condition de bâtir trois forteresses, une à Suez, une autre au Kaire, et une troisième à Alexandrie, forteresses qui auraient reçu garnison anglaise. Le pacha a refusé, car il redoute extrêmement la présence des troupes européennes en Égypte, et la regarde comme une sorte de prise de possession de ses états. Ainsi, l’Angleterre ne peut espérer que le souverain d’Égypte lui laisse garder le chemin de fer et la navigation intérieure qui le complète. Quant à la conquête et à l’occupation du pays, la pensée ne peut pas même en venir à l’esprit ; les nations occidentales, et surtout la France et la Russie, ne permettraient jamais une pareille perturbation dans l’équilibre politique du monde. Le cabinet anglais est trop prévoyant pour n’avoir pas pris depuis long-temps son parti sur ce point. Il convient donc à l’Angleterre d’opter pour la canalisation de l’isthme, car alors il ne serait plus nécessaire d’avoir des dépôts de marchandises sur le sol égyptien ; la navigation du canal serait tout-à-fait indépendante du souverain d’Égypte ; et d’ailleurs l’Angleterre, par ses flottes de la Méditerranée et de la mer Rouge, serait plus à même qu’aucune autre nation de veiller à la garde du canal.

Le chemin de fer convient plutôt à l’Égypte et à son commerce intérieur qu’au grand commerce des nations européennes. C’est une œuvre égyptienne, très utile sans doute, dont les Européens pourraient profiter, en l’absence du canal, pour leurs passagers et leurs dépêches. Mais ce n’est pas la solution du problème que nous cherchons, le rétablissement de l’ancienne route du commerce de l’Inde par une ligne de vapeur.

Le canal de Péluse à Suez, telle est la véritable solution du problème. Ce canal sera le complément naturel de la ligne de vapeur actuellement existante ; il présente trois grands avantages sur le chemin de fer : 1o avantage physique, puisque la communication sera de même nature, c’est-à-dire par eau ; 2o avantage économique et commercial, puisque les frais d’établissement seront moins considérables, qu’il n’y aura pas de transbordemens, et que la célérité sera plus grande ; 3o avantage politique, puisque le passage appartiendra à toutes les nations, et sera indépendant du souverain d’Égypte. Dans l’intérêt politique du monde, comme dans l’intérêt général du commerce, il vaut mieux pousser les paquebots à travers l’isthme que de faire rouler des wagons au désert.

Ainsi, le genre de travail une fois arrêté, il nous reste à examiner les bénéfices auxquels l’entreprise donnera lieu, et le mode à suivre pour son exécution.


Auguste Colin.