Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
255
REVUE. — CHRONIQUE.

cours complètent l’ensemble de notre situation diplomatique, et que leurs auteurs, vigies attentives, placées au nord et au midi, nous ont signalé tous les dangers qui leur apparaissent de la position élevée qu’ils ont prise. C’est ainsi que nous entendons le pouvoir, mais c’est surtout ainsi que nous entendons l’opposition, non plus déclamatoire et aveugle, mais utile au pays, et lui prodiguant sans amertume ses conseils, même quand le pays ajourne ou écarte ses conclusions.

Nous sera-t-il permis de répondre par un mot à ces deux cris d’alarme, qu’une prévoyance un peu sinistre a fait jeter dans deux directions différentes, à M. le comte Molé et à M. Thiers ?

On est, il nous semble, bien près de s’entendre sur la question de la répression de la contre-révolution espagnole, qu’on la nomme comme on voudra, ou la guerre, ou l’intervention, ou la coopération ; ceux qui la veulent, avouant qu’ils ne la voudraient pas tout de suite, et ceux qui ne la veulent pas, déclarant qu’ils pourraient y consentir dans un jour peu éloigné. Nous nous en tiendrons, comme tant d’esprits éminens, à cet état d’option qui semble plaire à tout le monde, en leur faisant observer toutefois, que quel que soit le parti que l’on adopte, l’Europe n’est pas si préparée qu’on a bien voulu le dire, à nous faire payer cher l’une ou l’autre de ces résolutions. Qu’on veuille bien déployer une carte d’Europe, on verra un chancre rongeur attaché au sein de chacune des puissances qui la composent, une plaie qui la condamne à l’immobilité si elle ne veut l’agrandir. La Russie venir au Rhin ! dites-vous ? Mais la côte de Circassie, mais la ligne du Caucase, mais les provinces de la Russie-Blanche, et la Pologne ! Et avec qui viendrait la Russie, s’il vous plaît ? Avec la Prusse, qui laisserait derrière elle le duché de Posen, ses provinces saxonnes, et qui nous appellerait ainsi dans ses provinces rhénanes ? Avec l’Autriche, dont la surveillance suffit à peine au royaume lombardo-vénitien ? Craindriez-vous la réunion des états secondaires de l’Italie à cette ligue ? Celle de Naples, par exemple, qui vient de s’engager plus que jamais dans une neutralité forcée, en poussant à bout la Sicile ? La Sardaigne n’a-t-elle pas à veiller sur Gênes et même sur Turin ? Le saint-père sur la Marche d’Ancône ? Est-il un seul état marqué sur cette carte qui puisse se dire libre dans ses mouvemens, et notre alliée l’Angleterre n’a-t-elle pas autre chose à faire qu’à se brouiller avec nous pour la non-intervention, comme d’autres pourraient le faire pour l’intervention, ne fût-ce qu’à pacifier le Canada, et à contenir l’Irlande ?

Non, la France est moins gênée qu’on le pense dans ses allures ; sans doute, elle s’exposerait à de grands périls et à des périls mérités, j’ose le dire, si elle troublait, par son ambition, l’ordre public européen, et un statu quo qu’elle a consenti elle-même et qu’elle consent encore, après chaque changement qui le dérange, soit qu’il nous satisfasse ou non ! Mais la France n’est pas même exposée à de pareils soupçons ; elle a donné assez de garanties de ses interventions pacifiques pour être regardée avec crainte, et, disons-le bien haut, avec respect, chaque fois qu’elle se croit forcée de faire un geste