Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
REVUE DES DEUX MONDES.

jamais baisser la voile pendant la tempête ; toutes choses peu raisonnables et qui participent de l’exaltation chevaleresque. Ces hommes refusaient parfois d’attaquer un ennemi avec des forces navales supérieures. Quelques-uns même faisaient la guerre aux pirates de profession pour en délivrer les mers ; véritable chevalerie errante sur l’Océan.

Dans le midi, une histoire qui fait bien sentir la différence des mœurs héroïques et des mœurs chevaleresques, c’est l’histoire du Cid, telle qu’elle a été racontée et chantée à diverses époques. Il y a en espagnol un vieux poème du xiie siècle, par conséquent presque contemporain du héros ; poème-chronique, qui a toute la véracité et toute la grandeur de la poésie primitive. La le Cid est un vieux guerrier point tendre, point chevaleresque, terrible, qui enchaîne les lions échappés, qui, avec un mélange de ruse et de courage tout-à-fait assorti au caractère des temps héroïques, parvient à ressaisir la dot de ses filles, maltraitées et volées par leurs époux, et ses deux bonnes épées, que ses gendres lui ont dérobées avec la dot. En un mot, il n’y a dans ce vieux Cid rien qui annonce encore la chevalerie. Il n’est est pas ainsi des romances qui plus tard l’ont célébré ; moins anciennes, moins primitives, l’esprit de la chevalerie s’y est déjà introduit. Enfin, dans les deux tragédies espagnoles où Corneille a puisé la première idée du Cid, et qu’il a tellement dépassées, le Cid est devenu un personnage tout-à-fait chevaleresque. Les plus anciennes romances tiennent beaucoup encore du rude caractère du vieux poème ; telle est, par exemple, celle qui raconte comment le père du Cid apprend à son fils l’insulte qu’il a reçue, et s’assure qu’il sera capable de le venger. Le comte fait venir tous ses enfans ; sans mot dire, il leur attache les mains avec de fortes cordes, et les serre au point de les faire crier ; mais quand il arrive à Rodrigue, celui-ci fait un bond en arrière au moment où la corde approche de ses mains, et menace son père du poignard. Le comte dit : « C’est toi qui me vengeras. » Eh bien ! cette scène d’un grandiose presque sauvage, exprime à sa manière ce que Corneille a réalisé dans la scène admirable qui commence ainsi :

Rodrigue, as-tu du cœur ? – Tout autre que mon père
L’éprouverait sur l’heure.

C’est le même motif traité une fois au point de vue héroïque et presque barbare, et l’autre au point de vue chevaleresque.

Enfin ce n’est pas seulement dans notre Occident qu’on peut cher-