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DE LA CHEVALERIE.

cher sinon la chevalerie elle-même, au moins quelque chose qui lui ressemble ; nous ne la demanderons point aux grandes épopées indiennes, qui sont dominées par l’esprit religieux, sur lesquelles l’influence brahmanique a surtout pesé, et où elle a dû naturellement effacer ce qui pouvait s’y trouver d’analogue à ce que nous cherchons ; mais des poèmes chantés dans le Radjastan, et dont le voyage de Todd contient quelques fragmens, racontent des aventures véritablement chevaleresques. Le rôle des femmes est, dans plusieurs de ces histoires, tout-à-fait semblable à celui qu’elles ont joué dans la chevalerie occidentale. Les rapports des guerriers ennemis entre eux rappellent souvent la courtoisie des paladins. Pour ne citer qu’un trait, deux rivaux se rencontrent, et, au lieu de s’attaquer avec la fureur de la passion livrée à elle-même, l’un adresse à l’autre un message qui est un véritable cartel ; et comme celui-ci a usé sa provision d’opium avant l’heure fixée pour le combat, il en fait demander à son adversaire, qui s’empresse de lui en envoyer. Enfin le combat a lieu devant la beauté qu’ils se disputent, et qui les contemple du haut d’un char, mais il est retardé un instant par la générosité des deux champions, chacun s’efforçant de faire en sorte que son adversaire porte le premier coup. C’est la politesse de Fontenoy : « Messieurs, tirez les premiers. »

Dans la grande épopée persane, le Schah-Namé de Ferdoussi, dont le premier volume va être publié par M. Mohl, et dont l’apparition sera un évènement dans la littérature orientale, les mœurs sont, comme dans l’Iliade, héroïques plus que chevaleresques ; cependant quelques détails font penser à la chevalerie : quand ce n’est pas le poème, ce sont les vignettes qui ornent plusieurs des manuscrits persans du Schah-Namé, et sont postérieures à la rédaction du poème. On y voit des guerriers couverts de fer de pied en cap, et dont les armures rappellent exactement celles des chevaliers, se précipiter les uns contre les autres au galop et se portant de grands coups de lance, comme dans les tournois, les joutes de l’Occident. Quant au texte lui-même, un des héros prononce ces paroles, remarquables : « Les hommes de race puissante demeureraient barbares, s’ils n’avaient pas de compagne. » Dans ce poème est une rencontre entre le fameux Roustem et une amazone : comme Clorinde, celle-ci est prise par son adversaire pour un guerrier jusqu’au moment où, ôtant son casque, elle dévoile un paradis de beauté. Mais la suite n’est pas aussi chevaleresque dans Ferdoussi que dans Le Tasse : le guerrier veut lier cette femme comme il aurait fait de tout autre prisonnier ; elle lui