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DE LA CHEVALERIE.

taines prescriptions désignent comment les chevaliers doivent se vêtir et se nourrir, l’emploi qu’ils doivent faire de leur temps ; c’est presque une règle monastique.

La chevalerie était si bien un ordre, qu’il se transmettait, que ceux qui en étaient dépositaires pouvaient le conférer, et la capacité de le conférer commençait dès le moment où on venait de le recevoir. Ainsi, on voit Philippe-le-Bel créer chevaliers ses trois fils, et sur-le-champ ces trois princes donner l’ordre de chevalerie à quatre personnes. Quelquefois cette transmission s’accomplissait au milieu de circonstances remarquables ou touchantes : ainsi, quand un chevalier défendait un pas d’armes, ceux qui venaient le combattre se faisaient souvent armer chevaliers par lui-même. Parfois cette courtoisie chevaleresque se montra dans des combats plus sérieux. Walter Scott, dans une lettre à Miss Baillie, raconte un fait de ce genre tiré de l’histoire d’Écosse, et dont les circonstances, sont assez curieuses pour être rapportées.

« Swinton proposa de charger à la tête des siens ; quoique trop faible pour cette tentative, le jeune Gordon, dont le père avait été tué par Swinton, entra dans cette proposition par une de ces explosions irrégulières de générosité et de sentiment qui rachètent ces siècles ténébreux du reproche de barbarie complète. Il sauta de son cheval, s’agenouilla devant Swinton et lui dit : Je n’ai pas encore reçu la chevalerie, et jamais je ne pourrai recevoir cet honneur de la main d’un chef plus loyal et plus vaillant que celui qui a tué mon père. Accordez-moi le don que je requiers, et unissez vos forces aux miennes, afin que nous puissions vivre et mourir ensemble. »

C’est un grand triomphe de l’esprit chevaleresque sur les sentimens naturels du cœur humain, et sur ces vengeances de famille si puissantes et si acharnées dans le pays où se passe la scène.

La chevalerie était donc une réalité, on n’en saurait douter ; en même temps elle était un idéal ; il y avait une chevalerie dans la société et une chevalerie dans les livres agissant et réagissant l’une sur l’autre. C’est surtout aux époques avancées que se remarque la réaction de la poésie chevaleresque sur les mœurs, sur les sentimens de la vie réelle ; plus la chevalerie s’en va de la société, plus on s’attache, plus on se cramponne, pour ainsi dire, à l’idéal chevaleresque ; Froissart est un exemple de cette passion, ou plutôt de cette manie pour la chevalerie, qui de son temps existe à peine. Au XVe siècle, à l’époque où elle commençait à mourir, les romans créèrent une fausse chevalerie, une chevalerie d’imitation, classique pour