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DE LA CHEVALERIE.

Il n’y a guère, en Orient, qu’une littérature qui présente quelque chose d’analogue à l’amour chevaleresque, c’est la littérature arabe. Dans le curieux roman d’Antar, rédigé, au second siècle de l’hégire, d’après des traditions plus anciennes et des récits qui remontent aux temps antérieurs à la venue de Mahomet, le personnage principal est représenté comme le champion des femmes de la tribu ; son premier exploit a pour objet de protéger une d’elles ; l’amour d’Antar pour la belle Ibla est le mobile principal de ses actions, de ses faits d’armes ; c’est pour elle qu’il combat, soupire et chante : Antar est un chevalier et un troubadour du désert. À ces exceptions près, si l’on y joint quelques passages des chants du Radjastan, on peut dire que l’Orient, pris en masse, ignore assez complètement l’amour chevaleresque. L’antiquité ne l’a pas connu davantage, la condition des femmes s’y opposait. En Grèce, il n’y avait que l’obscur gynécée fermé aux hommes, ou la scandaleuse et brillante existence d’Aspasie.

À Rome, la femme intervenait davantage hors du cercle de la vie domestique ; l’histoire romaine en offre quelques exemples assez remarquables, et l’on a fait souvent observer que deux révolutions s’y accomplirent pour venger l’honneur d’une femme. La matrone romaine était plus haut placée que l’épouse grecque. Cependant, plusieurs dispositions de la loi romaine attestent l’infériorité de la position des femmes : dans le droit romain, l’épouse est considérée comme la fille de son époux et la sœur de son fils. L’opinion publique, telle que nous pouvons la recueillir dans les auteurs de l’antiquité, est tout-à-fait d’accord avec ces dispositions de la loi ; ainsi, Strabon, parlant des Cantabres, chez lesquels l’homme apporte en se mariant une dot à sa femme, voit là une ginocratie, un empire, un ascendant de la femme, qu’il juge très dangereux, et qui, dit-il, n’est pas d’un pays bien civilisé. D’un tel état de choses devait résulter ce qui se rencontre dans la poésie antique, et ce que j’ai déjà fait remarquer : c’est que l’amour est toujours considéré comme une faiblesse et par suite comme un fléau, une malédiction, un châtiment envoyé par les dieux, un obstacle à tout ce qui est grand et héroïque. Pour se convaincre qu’il en est ainsi, il suffit de parcourir les traditions antiques depuis la guerre de Troie : Amour, tu perdis Troie ! Dans l’Iliade, Hélène est vingt fois maudite comme la cause de tous les maux qui accablent les Grecs et les Troyens, bien que les vieillards pardonnent sa beauté ; dans l’Odyssée, Calypso arrête Ulysse : l’amour est toujours un empêchement, jamais une excitation à l’héroïsme. Les traditions de la Grèce sont pleines d’exemples pareils ; c’est à cause de