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DE LA CHEVALERIE.

quelques détails d’une expédition de chevalerie errante bien réelle et bien bizarre. Le héros et le narrateur est Ulrich de Lichtenstein, ce troubadour allemand du xive siècle, qui a écrit le Frauendienst. Après avoir fait part de son projet à sa dame, il part comme pour aller en pèlerinage à Rome, s’arrête à Venise, se fait faire des habits de femme ; prend le nom de dame Vénus, et annonce qu’en l’honneur des dames, et pour montrer ce qu’on dit faire pour elles, il ira de Mestre jusqu’en Bohême, et défiant tous les chevaliers qu’il rencontrera. Ceux qui rompront une lance avec dame Vénus, recevront d’elle un anneau qui rendra toujours plus belle celle à qui il sera donné. Si dame Vénus renverse un chevalier, celui-ci s’inclinera vers les quatre points cardinaux en l’honneur d’une dame. Si un chevalier renverse dame Vénus, il aura tous les chevaux qu’elle conduit avec elle.

Puis il se met en route, suivi de ses écuyers et de deux ménestriers qui l’accompagnent en faisant de la musique. Il éprouve d’abord quelques difficultés pour commencer son aventure ; en arrivant à Trévise, le podestat s’y oppose, car l’autorité civile n’aimait pas plus la chevalerie que l’autorité religieuse, et il a quelque peine à obtenir la permission de rompre ses lances ; il faut que toutes les dames de Trévise se réunissent pour supplier le podestat d’accorder cette permission ; le podestat ne peut rien refuser aux dames, la joute a lieu sur un pont, et il va sans dire qu’Ulric triomphe d’un grand nombre de rivaux. Le lendemain, deux cents dames de la ville l’attendaient à sa porte pour le conduire à l’église ; l’une d’elles portait son manteau ; toujours habillé en dame Vénus, il vient à l’église et prie Dieu dévotement. En sortant, il est accompagné par les dames, qui adressent pour lui des vœux au ciel. « Depuis, dit-il, j’ai eu à cause de cela beaucoup d’honneur, car Dieu ne peut rien refuser aux nobles dames. » Dans une autre ville, une jeune fille vint à lui, tenant une lance, et lui dit : « Le seigneur Mathias m’envoie vous souhaiter la bien-venue ; il m’a dit de vous apporter cette lance et vous prie de la lui briser sur le corps. » Le vœu du seigneur Mathias est exaucé par Ulric, qui fait la même faveur à un grand nombre de chevaliers, tout en rendant la plus complète justice à leur bravoure, et en portant même l’impartialité, le désintéressement chevaleresque, jusqu’à témoigner une grande admiration pour les coups qu’il reçoit. « Dans une belle rencontre, dit-il, le comte Berthold de Gratz, à travers mon bouclier et mon armure, me blessa la poitrine. » Cet accident ne l’em-