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l’utopie, et toute accusation à cet égard n’a d’existence que dans le désir qu’on a peut-être de la lui voir justifier.

Nous n’admettons donc pas que M. de La Mennais soit seulement un homme de foi, nous n’admettons pas davantage que ce soit seulement un homme de sentiment. Dans le développement de ses doctrines sociales, il apporte autre chose que de la colère et de la charité. Le sentiment n’y marche jamais sans la pensée, et nous croyons définir le mieux possible cet esprit logique et chaleureux, en disant que sa principale qualité est une raison passionnée. C’était bien là la qualité nécessaire à son rôle d’apôtre populaire, à la tâche qu’il a entreprise de ranimer dans les masses le sentiment de ces vérités que certains hommes ont intérêt à voiler, mais qui doivent toujours guider l’humanité dans sa marche vers l’avenir. Ces vérités ne sont pas neuves, nous le savons. Elles n’ont été apportées dans le monde ni par Jésus-Christ, ni par ses disciples. Elles ont été écrites dans le cœur du premier homme que Dieu a jeté sur la terre. M. de La Mennais se contente d’en reprendre la prédication, et nous ne voyons pas que ce soit une thèse si malheureuse pour ce que vous appelez son début philosophique. Avant de bâtir la cité, il faut en poser les bases, et quand ces bases sont contestées, chercher à reconquérir le sol que l’iniquité a envahi ne nous semble pas une tâche si puérile, une utopie si facile à ridiculiser.

Tout ce que nous pouvons accorder, c’est que les grandes qualités d’analyse et de discussion qui sont dans M. de La Mennais, s’étant exercées long-temps sur des sujets dont l’importance s’efface déjà pour lui comme pour nous, à l’horizon du passé, son christianisme, sans avoir l’extension quiétiste que vous lui donnez, n’a pas toute l’extension panthéistique que nous lui donnerions, si nous étions appelés à la libre interprétation de son évangile démocratique. Mais quelque réticence religieuse, ou quelque hardiesse philosophique que nous garde, ainsi qu’un sanctuaire mystérieux et vénérable, l’avenir de M. de La Mennais, nous ne voyons rien d’assez absolu, rien d’assez formulé dans son christianisme, pour que les répugnances consciencieuses et les antipathies légitimes aient lieu de s’en effrayer. Nous ne sommes pas de ceux qui regrettent le passé catholique de l’auteur de l’Indifférence, nous ne sommes même pas de ceux qui acceptent son présent sans restriction ; mais nous respectons le passé parce que le présent en est sorti, et nous admirons le présent et pour lui-même et pour l’avenir qu’il nous présage. Ce passé est une voie droite et pure qui va s’élargissant et s’élevant toujours jusqu’à des hauteurs sublimes. Ce présent