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LES SOURCES DE ROYAT.

tradition est par elle-même impuissante à produire des œuvres durables, appliquée à l’interprétation de la réalité elle devient féconde. À notre avis le devoir du paysagiste est d’étudier en même temps la tradition et la réalité, et d’interpréter constamment l’une par l’autre

M. Huet appartient à l’école de l’interprétation, et cette école n’a pas aujourd’hui de représentant plus habile. Depuis dix ans il lutte glorieusement pour cette doctrine, et s’il n’a pas encore conquis la popularité qu’il mérite, plusieurs de ses ouvrages ont obtenu l’approbation et les encouragemens des juges éclairés. On a dit qu’il relevait de l’école anglaise, et cette assertion a passé pour un reproche : mieux comprise, elle signifie simplement que M. Paul Huet interprète la nature comme Turner, Stanfield et Constable. Les trois artistes éminens que nous venons de nommer croient, comme lui, à la nécessité de tenter dans le paysage quelque chose de supérieur à l’imitation ; mais entre M. Huet et l’école anglaise il n’y a d’autre parenté que l’identité de conviction. Quand aux procédés employés par l’un et par l’autre, il est impossible de les confondre. Pour se prononcer dans une pareille question il ne suffit pas de consulter les gravures exécutées d’après les paysages de l’école anglaise, il faut visiter les galeries anglaises, et regarder attentivement les tableaux mêmes qui ont servi de modèles à ces gravures. Toute décision formulée sans le secours d’un pareil enseignement est évidemment une décision étourdie et sans valeur. Pour moi, je pense que M. Paul Huet, tout en admirant l’école anglaise, ne s’abuse pas sur les défauts de cette école, et n’approuve pas la manière dont elle distribue la lumière et l’ombre ; il tient compte de l’école anglaise comme d’un fait important dans l’histoire de la peinture, mais il n’ignore pas que plusieurs des procédés employés par cette école méritent le reproche de puérilité. Quant aux procédés qu’il emploie, il ne les doit qu’à lui-même, et chacune de ses œuvres témoigne clairement d’une inspiration personnelle.

La couleur est la qualité la plus remarquable des tableaux de M. Huet, ou du moins c’est le mérite que le public se plaît à lui reconnaître le plus volontiers. Il y a en effet dans la couleur de ces tableaux un éclat, une richesse, une variété, qui attirent l’attention des plus indifférens. Il est impossible de voir une lisière de bois, un coucher de soleil peints par M. Huet, sans admirer la franchise et la vérité des tons dont il dispose. Il y a là quelque chose que l’étude ne suffit pas à enseigner, quelque chose qui procède directement de la nature même du peintre, un privilége, un don que les leçons les plus savantes ne peuvent transmettre, et c’est à ce don que M. Huet a dû jusqu’ici le plus grand nombre de ses succès. Cependant le mérite de la couleur n’est pas le seul qu’il possède ; chacune des toiles qu’il a signées de son nom se distingue par le choix des lignes harmonieuses dont le pinceau le plus savant ne saurait surpasser la pureté, cependant pour apprécier, pour transcrire cet heureux choix de lignes,