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LA DERNIÈRE ALDINI.

Elle n’avait pas encore relevé son voile, mais déjà je reconnaissais la taille élégante et les belles mains d’Alezia Aldini.

La pauvre femme tremblait de tous ses membres ; je la plaignais et la blâmais, car le boudoir où nous nous trouvions n’était pas décoré dans un goût très chaste, et les bronzes antiques, les statuettes de marbre qui l’ornaient, quoique d’un choix exquis sous le rapport de l’art, n’étaient rien moins que faits pour attirer les regards d’une jeune fille ou d’une femme timide. Et en pensant que c’était Alezia Aldini qui avait osé pénétrer dans ce temple païen, j’étais malgré moi, par un reste d’amour peut-être, plus blessé que reconnaissant de sa démarche.

La Checchina, tout en se hâtant, n’avait pourtant pas négligé le soin si cher aux femmes d’éblouir par l’éclat de la toilette les personnes de leur sexe. Elle avait jeté sur ses épaules une robe de chambre de cachemire des Indes, objet d’un grand luxe à cette époque ; elle avait roulé ses cheveux dénoués sous un réseau de bandelettes d’or et de pourpre, car l’antique était alors à la mode, et sur ses jambes nues, qui étaient fortes et belles comme celles d’une statue de Diane, elle avait glissé une sorte de brodequin de peau de tigre, qui dissimulait ingénieusement la vulgaire nécessité des pantoufles. Elle avait chargé ses doigts de diamans et de camées, et tenait son éventail étincelant comme un sceptre de théâtre, tandis que l’inconnue, pour se donner une contenance, tourmentait gauchement le sien, qui était simplement de satin noir. Celle-ci était visiblement consternée de la beauté de Checca, beauté un peu virile, mais incontestable. Avec sa robe turque, sa chaussure mède et sa coiffure grecque, elle devait assez ressembler à ces femmes de satrapes qui se couvraient sans discernement des riches dépouilles des nations étrangères.

Elle salua son hôtesse d’un air de protection un peu impertinent ; puis, s’étendant avec nonchalance sur une ottomane, elle prit l’attitude la plus romaine qu’elle pût imaginer. Tout cet étalage fit son effet, la jeune fille resta interdite et n’osa rompre le silence. — Eh bien ! madame ou mademoiselle, dit la Checca en dépliant lentement son éventail, car j’ignore absolument à qui j’ai le plaisir de parler, je suis à vos ordres.

Alors l’inconnue d’une voix claire et un peu âpre, avec un accent anglais très prononcé, répondit en ces termes :

— Pardonnez-moi, madame, d’être venue vous déranger si matin, et recevez mes remerciemens pour la bonté que vous avez de m’accueillir. Je me nomme Barbara Tempest et suis fille d’un lord établi