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l’histoire. La philosophie de l’histoire, je le sais, n’appartient pas à l’école nouvelle ; elle est fille du xviiie siècle, et je ne crois pas commettre du moins une erreur, si je fais un paradoxe, en affirmant qu’elle appartient à Voltaire, dont l’Allemagne d’abord, et la France après elle, l’ont héritée. Ainsi, par une contradiction flagrante, mais bien précieuse, le siècle qui détruisait à jamais le passé fondait pourtant la science générale de l’histoire, c’est-à-dire la science même du passé. C’est qu’en effet cette passion immense, dévorante du xviiie siècle pour l’humanité, cette noble passion, dont aucun homme illustre de ce grand siècle n’a manqué, qui les a tous inspirés, jusque dans leurs écarts les plus désordonnés, cette inépuisable passion ne pouvait être à demi féconde. En transportant si vivement vers l’avenir tous les esprits généreux, elle ne leur montrait qu’une partie du tableau, la plus belle si l’on veut, parce que l’espérance dépasse toujours la réalité, quelque splendide que soit la réalité : mais l’avenir, tout comme le présent, a ses racines dans le passé. Le niveau de l’humanité s’élève à chaque siècle ; mais elle repose toujours sur le sol immuable des siècles écoulés. Ce n’est qu’au xviiie siècle que l’humanité a réellement commencé à comprendre tout ce qu’elle était ; c’est seulement alors qu’après bien des épreuves elle a eu pleine et absolue conscience de sa dignité, de son importance et de ses forces. De là, le caractère tout historique du siècle où nous vivons ; de là, cet intérêt sans égal dont le passé du genre humain est aujourd’hui l’objet, et que n’altèrent même pas des préoccupations trop souvent égoïstes pour le passé national. Les historiens, dont je reconnais d’ailleurs tous les mérites, n’ont pas fait la philosophie de l’histoire ; ils l’ont demandée aux philosophes : c’est de la main des philosophes qu’ils ont reçu les idées générales de la science, c’est-à-dire, l’essence même et l’explication de leurs propres travaux. À plus forte raison, était-ce aux philosophes de faire l’histoire de la philosophie, leur domaine spécial, et en quelque sorte exclusif.

Pour vous dire tout ce qu’a fait la philosophie nouvelle dans ce vaste champ, je n’ai qu’à vous rappeler des faits bien connus de vous, des faits que votre mémoire, j’en suis sûr, n’a pas oubliés : d’abord, cette Histoire comparée des systèmes, dont je vous ai déjà parlé ; puis, de 1813 jusqu’à nos jours, la publication des Œuvres inédites de Proclus et d’Abeilard, celle des Œuvres de Descartes, la publication du Globe, recueil célèbre où rayonnèrent, de 1825 à 1830, toutes les idées novatrices en philosophie, en littérature, en politique même, sous la main puissante et féconde d’un écrivain dont je m’honore d’être l’élève et l’ami ; puis la traduction de Reid, le chef de l’école écossaise, la traduction des principaux ouvrages de Dugald Stewart, celle de Herder, celle du Manuel de Tennemann, l’Histoire de la Philosophie contemporaine, l’Histoire de la Philosophie allemande depuis Leibnitz ; la traduction de l’Histoire de la Philosophie ancienne de Ritter, celle de quelques ouvrages de Kant ; puis, pour terminer par l’œuvre la plus laborieuse de toutes, la traduction de Platon, commencée l’une des premières, et que cette année sans doute verra finir. Dans cette énumération rapide et incomplète, où des omissions ne peuvent être prises pour des injustices, vous avez reconnu sans peine,