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peut non plus, sans imprudence ou sans lésinerie, leur refuser le sheltie : avec un cheval anglais ils pourraient se casser le cou, et un cheval de bois coûterait plus cher. Malheureusement ces petits animaux ont un appétit d’enfer, un appétit peu en rapport avec leur taille, et comme à Londres on ne peut les laisser paître en liberté sur les pelouses des parcs, pas même dans le Green-Park, qui cependant ressemble tout-à-fait à un morceau des îles Shetland, les arbres y étant aussi rares et le gazon aussi court, la bête de trente shillings coûte quelquefois, par an, trente guinées à nourrir.

La population des îles Shetland (vingt-quatre mille ames environ) se compose de deux classes d’habitans, les seigneurs ou lairds, et les paysans (gentry and peasantry). Le fond de la nation est d’origine norwégienne ; cependant, aujourd’hui, peu de lairds sont norwégiens[1] ; les Écossais les ont remplacés peu à peu, non pas brutalement, non pas en conquérans que l’oppression et la mort accompagnent, mais d’une manière insensible, achetant les fiefs des familles pauvres, ou succédant aux familles qui s’éteignaient, et apportant avec eux des mœurs plus douces et une civilisation plus avancée ; ils ont subjugué le pays sans être obligés de le combattre. Ces nobles écossais sont moins aimés de leurs vassaux que les nobles norwégiens, sans doute parce qu’ils sont d’origine différente. Les lairds norwégiens s’appellent udallers ; ce sont des propriétaires allodiaux, qui possèdent la terre en vertu d’anciennes lois norwégiennes, et non d’après la loi féodale écossaise. L’hospitalité des udallers et des lairds écossais des îles est renommée ; c’est principalement à table qu’ils l’exercent. Ils sont hospitaliers comme des gens dont on visite rarement le pays, et qui savent que l’usage ne peut entraîner l’abus. Il n’est pas rare de rencontrer dans ces îles de ces antiques et nobles caractères qui rappellent au voyageur ce Magnus Troil dont Walter Scott a esquissé les traits grands et épiques dans son roman du Pirate.

Les lairds, norwégiens et écossais, sont seuls propriétaires de la terre et de la mer, et les afferment à de dures conditions à la classe pauvre (peasantry), qui ne possède que sa liberté. Dans le principe, les conditions des loyers n’étaient dures qu’en apparence ; les lairds

  1. Les îles Shetland appartinrent dans le principe à la Norwége. Magnus de Norwége les vendit, dans le XIIIe siècle, à Alexandre d’Écosse. Elles furent ensuite réclamées par le Danemark, auquel, ainsi que les Orcades, elles ont appartenu pendant près de deux siècles. Vers la fin du XVe siècle, Christiern Ier maria sa fille avec Jacques III ; comme il était pauvre, il engagea, pour payer sa dot, les îles Orcades et Shetland, dont l’Écosse ne voulut plus se dessaisir.