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mer (samphire), sont fréquentées par les mermaids (les sirènes). Ces belles et souples créatures, aux voix harmonieuses, aux cheveux blonds et soyeux, aux yeux si grands et si doux, aux membres veinés d’azur que terminent de longs anneaux écailleux qui plongent sous les flots, viennent dormir au soleil sur le lit moelleux des varechs qui tapissent le rivage. Tout à coup elles poussent de grands cris, et leur corps blanc et rose disparaît sous la vague bleue. C’est qu’elles ont vu flotter à la surface de la mer la barbe du moine marin ; plein d’une amoureuse ardeur, que ne peuvent éteindre les eaux glacées de l’océan, le monstre lubrique poursuit sans relâche ces jolies filles de la mer.

Dans les longues nuits d’hiver, quand le soleil se lève à onze heures du matin, pour se coucher à deux[1], et que son disque rougeâtre parcourt en quelques instans un petit coin de l’horizon, assis autour d’un grand feu de tourbe ou de gazon, allumé au centre de leur cabane, ces hommes simples et crédules, tout en buvant le bland, cette eau-de-vie du pays qu’ils font avec le petit-lait fermenté, se racontent, pour la centième fois et avec une prolixité toute poétique, les vieilles et fabuleuses légendes des bersekars, les combats des rois de la mer, les terribles aventures des nains, des géans et des sorciers, qui autrefois habitaient leur île. Si c’est un pâtre ou un laboureur qui parle, comme Tam O’Shanter, l’un des héros de Burns, ils racontent les terribles apparitions qui, un jour de tempête, les ont empêchés, le pâtre de conduire son troupeau dans la montagne, le laboureur d’achever son sillon commencé. Il est vrai qu’ils oublient d’ajouter, pour expliquer leurs visions, que ce jour-là ils avaient bu quelques verres de bland de plus que de coutume. Si c’est un ouvrier, il assure que, de derrière le tas de tourbe amassée devant sa porte, il a vu les trows le regarder avec un sourire moqueur ; qu’une nuit entendant battre sourdement le fer sur son enclume, il s’est réveillé subitement, et qu’il a vu les trows s’enfuir, les trows, ces génies familiers, qui, au dire des Shetlandais, travaillent de préférence le fer et les métaux, qui habitent les collines et les cavernes, et qui, pour délibérer sur les méchancetés qu’ils veulent faire, se réunissent habituellement dans les lieux où un meurtre a été commis, où le sang a coulé[2]. Quand l’arc-en-ciel brille, c’est le pont qui conduit au

  1. En revanche, dans la belle saison, les jours sont bien longs. Du haut d’un rocher de l’île de Hoy, dans les Orcades, on peut voir le soleil à minuit pendant le solstice d’été. Ce n’est pas son disque réel, c’est son disque réfracté qu’on aperçoit.
  2. Les habitans des îles Feroë appellent les trows : foddenskeneand, le peuple souterrain. Les Norwégiens les appellent duergars.