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t-elle ; cela vous prouve que j’avais peut-être quelque disposition pour cette profession que vous ennoblissez par vos talens et vos vertus. Je vous remercie profondément de m’avoir ménagé l’occasion de vous donner la comédie, et je rends grâces à madame, qui a bien voulu me donner la réplique. Mais je suis déjà dégoûtée de cet art sublime. Il faut y porter une expérience qui me coûterait trop à acquérir, et une force d’esprit dont vous seul au monde êtes capable.

— Non, signora, vous êtes dans l’erreur, repris-je avec fermeté. Je n’ai point l’expérience du mal, et je n’ai de force que pour repousser des soupçons déshonorans. Je ne suis ni l’époux, ni l’amant de Francesca. Elle est mon amie, ma sœur d’adoption, la confidente discrète et dévouée de tous mes sentimens ; et pourtant elle ignore qui vous êtes, bien qu’elle vous soit aussi dévouée qu’à moi-même.

— Je déclare, signora, dit Francesca en s’asseyant d’une manière plus convenable, que je comprends fort peu ce qui se passe ici, et comment Lélio vous a laissé concevoir de pareils soupçons, lorsqu’il lui était si facile de les détruire. Ce qu’il vous dit en ce moment est la vérité, et vous n’imaginez pas, j’espère, que je voulusse me prêter à vous tromper, si j’étais autre chose pour lui qu’une amie bien calme et bien désintéressée.

Alezia commença à trembler de tous ses membres, comme saisie de fièvre, et elle se rassit pâle et recueillie. Elle doutait encore.

— Tu as été méchante, ma cousine, dis-je tout bas à la Checchina. Tu as pris plaisir à faire souffrir un cœur pur pour venger ton sot amour-propre. Ne devrais-tu pas remercier ta rivale, puisqu’elle a refusé Nasi ?

La bonne Checca s’approcha d’elle, lui prit les mains familièrement, et s’accroupit sur un coussin à ses pieds. — Mon bel ange, lui dit-elle, ne doutez pas de nous ; vous ne connaissez pas la douce et honnête liberté des bohémiens. Dans votre monde, on nous calomnie, et on nous fait un crime de nos meilleures actions. Puisque vous avez permis à Lélio de vous aimer, c’est que vous ne partagez pas ces préventions injustes. Croyez donc bien qu’à moins d’être la plus vile des créatures, je ne puis m’entendre avec Lélio pour vous tromper. Je comprends à peine quel plaisir ou quel profit j’en pourrais tirer. Ainsi, calmez-vous, ma jolie signora. Pardonnez-moi de vous avoir arraché votre secret par mes folles plaisanteries. Vous devez avouer que, si la signora marchesina se fût jouée des comédiens, ce n’eût pas été dans l’ordre. Mais, au reste, tout ceci est fort heureux, et vous avez eu là une idée bonne et courageuse. Vous auriez conservé