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Les ordres de Saint-Jean de Jérusalem, les templiers, les chevaliers teutoniques, telle est la chevalerie entièrement disciplinée par l’église, qui lui appartient tout-à-fait, qu’elle a créée pour son usage. Or celle-là même lui échappe parfois, bien plus, l’attaque et la combat. Ainsi, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, nés de l’église et de la religion, dès qu’ils eurent, comme ordre chevaleresque, une certaine existence propre, ne tardèrent pas à frapper leur mère. Des discussions assez graves s’élevèrent entre eux et l’évêque de Jérusalem. Guillaume de Tyr rapporte avoir vu plusieurs flèches tirées par les hospitaliers contre des prélats, flèches qu’on avait recueillies et suspendues devant le lieu où Jésus-Christ fut crucifié. Les templiers devinrent bientôt presque aussi suspects à l’église qu’effrayans et dangereux pour le pouvoir civil. Ils furent soupçonnés d’opinions étranges, peu chrétiennes, et enfin livrés par un pape. Les chevaliers teutoniques abandonnèrent la papauté et le catholicisme, et finirent par fonder une puissance protestante. Ainsi la chevalerie des ordres religieux n’a pas été toujours très fidèle à l’église, et l’église n’a pas été toujours portée pour elle d’un bien bon vouloir.

Cette antipathie se manifeste dans beaucoup de choses ; elle est liée souvent à une des inspirations les plus honorables pour l’église, à son horreur du sang ; c’est à cette double cause qu’il faut rapporter sa sévérité pour les combats judiciaires et pour les tournois. Les combats judiciaires étaient, il est vrai, une institution barbare fort antérieure à la chevalerie ; il serait encore plus déraisonnable de leur donner pour base des préjugés religieux ; l’église n’a rien à se reprocher dans l’établissement du duel judiciaire. Au contraire, elle l’a combattu à plusieurs reprises, elle l’a quelquefois toléré par faiblesse et même consacré dans certains momens ; mais, en général, plus fidèle à son esprit, elle l’a repoussé ; par un côté, cette coutume allait merveilleusement à l’esprit de la chevalerie, car elle prescrivait de protéger qui ne pouvait se défendre. Ainsi, les femmes, les enfans, les vieillards, les tombeaux même, avaient un champion qui était presque toujours chevalier. Dans la littérature chevaleresque, cette situation est diversifiée de mille manières dans ces innombrables histoires de princesses délivrées du bûcher par un sauveur inconnu. Le duel judiciaire, antérieur à la chevalerie, fut donc adopté par elle, et l’église le poursuivit au sein de la chevalerie, qu’elle attaquait en le combattant. Il en fut de même pour les tournois ; ils étaient moins dangereux que le duel judiciaire ; cependant les accidens y étaient assez fréquens ; on