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Ainsi, le cardinal Nicolas n’accordait que les jours gras à la chevalerie.

Enfin, ce ne fut pas seulement la chevalerie qui fut plus ou moins suspecte et déplaisante à l’église, ce fut aussi la littérature qu’elle inspirait. Je ne parle pas des nombreux troubadours qui passèrent pour hérétiques, bien que quelquefois l’inimitié de l’église pour la chevalerie pût contribuer à la mauvaise renommée de l’orthodoxie de ces poètes. Il y avait de cette mauvaise renommée d’autres raisons encore meilleures, leurs satires contre le clergé et contre le pape, surtout les sympathies exprimées par un grand nombre d’entre eux pour la cause, nationale en Provence, des Albigeois.

Mais l’église ne fut pas moins sévère pour les romans chevaleresques que pour les troubadours, et ici sa sévérité s’appliquait directement à la littérature, expression de la chevalerie. On peut voir combien, au xvie siècle, les auteurs religieux du temps s’élèvent avec véhémence contre la lecture de ces livres, qu’ils comparent quelquefois aux productions du protestantisme. M. Viardot, dans la biographie de Cervantes, qui précède sa traduction, cite une demi-douzaine d’auteurs espagnols graves appartenant à l’église et condamnant tous la lecture des romans de chevalerie. On doit attribuer, ce me semble, à l’église les interdictions qui furent prononcées alors contre cette classe d’ouvrages par le pouvoir civil ; car en Espagne, à cette époque, c’était l’église qui, dans toutes les matières qui tenaient à la morale, conseillait et inspirait ce pouvoir. Ainsi, on peut rapporter à la première le décret de Charles-Quint qui interdisait les romans de chevalerie au Nouveau-Monde, défendant qu’ils fussent lus par aucun Espagnol ni aucun Indien ; interdiction qui n’était pas, il faut l’avouer, très nécessaire pour ces derniers. Les cortès de Valladolid demandèrent que la même prohibition fût appliquée à l’Espagne, et Jeanne promit une loi. Dans la requête des cortès est ce passage curieux, qui montre, dans la dernière ligne surtout, une espèce de rivalité entre la littérature théologique et la littérature chevaleresque : les cortès se plaignent que ces livres tournent la tête aux jeunes gens et aux jeunes filles, « et, pour remède au mal susdit, nous prierons votre majesté d’ordonner, sous de grandes peines, qu’aucun livre de ceux-là ne se lise ni ne s’imprime, et que ceux qui existent aujourd’hui soient rassemblés et brûlés, car, faisant cela, votre majesté fera grand service à Dieu, en ôtant aux gens la lecture de ces livres de vanité, et en les réduisant à lire les livres religieux qui édifient les ames. »

Enfin, pour terminer, cette opposition de l’église à la littérature