Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
REVUE DES DEUX MONDES.

cile de l’empêcher de violer l’incognito d’Alezia, en lui disant qu’une femme était venue pour moi dans sa maison, et que je le priais de ne point chercher à la voir. Mais la journée ne se passerait pas sans que la fuite d’Alezia et le désordre de la maison Grimani ne vinssent à ses oreilles. Une semaine suffirait pour l’apprendre à toute la province. Je ne savais vraiment que faire. Nasi, ne comprenant rien à mon air troublé, commençait à s’inquiéter et à craindre que la Checchina n’eût fait, par colère ou désespoir, quelque coup de tête. Il montait l’escalier avec précipitation ; déjà il tenait le bouton de la porte de l’appartement de Checca, lorsque je l’arrêtai par le bras, en lui disant d’un air très sérieux que je le priais de ne pas entrer.

— Qu’est-ce à dire, Lélio ? me dit-il d’une voix tremblante et en pâlissant ; Francesca est ici et ne vient point à ma rencontre, vous me recevez d’un air glacé, et vous voulez m’empêcher d’entrer chez ma maîtresse ? C’est pourtant vous qui m’avez écrit de revenir près d’elle, et vous sembliez vouloir nous réconcilier ; que se passe-t-il donc entre vous ?

J’allais répondre, lorsque la porte s’ouvrit, et Alezia parut, couverte de son voile. En voyant Nasi, elle tressaillit et s’arrêta.

— Je comprends maintenant, je comprends, dit Nasi en souriant ; mille pardons, mon cher Lélio ! dis-moi dans quelle pièce je dois me retirer. — Ici, monsieur ! dit Alezia d’une voix ferme en lui prenant le bras, et en l’entraînant dans le boudoir d’où elle venait de sortir et où se trouvaient toujours Francesca et Lila. Je la suivis. Checchina, en voyant paraître le comte, prit son air le plus farouche, précisément celui qu’elle avait dans le rôle d’Arsace, lorsqu’elle faisait la partie de soprano dans la Sémiramis de Bianchi. Lila se mit devant la porte pour empêcher de nouvelles visites, et Alezia, écartant son voile, dit au comte stupéfait :

— Monsieur le comte, vous m’avez demandée en mariage, il y a quinze jours. Le peu de temps pendant lequel j’ai eu le plaisir de vous voir à Naples a suffi pour me donner de vous une plus haute idée que de tous mes autres prétendans. Ma mère m’a écrit pour me conjurer, pour m’ordonner presque d’agréer vos recherches. Le prince Grimani ajoutait en postcriptum que, si définitivement j’avais de l’éloignement pour mon cousin Hector, il me permettait de revenir auprès de ma mère à condition que je vous accepterais sur-le-champ pour mari. D’après ma réponse, on devait ou venir me chercher pour me conduire à Venise et vous y donner rendez-vous, ou me laisser indéfiniment chez ma tante avec mon cousin. Eh bien ! malgré l’aversion que mon cousin