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son voyage à travers l’Allemagne, le Danemark et la Suède. On sait que ce journal a été renfermé dans la bibliothèque du Vatican, mais toutes les recherches faites jusqu’à présent pour le découvrir ont été inutiles.

Les germes d’instruction religieuse répandus dans le Nord par Ebbo et Ansgard ne grandirent que dans certains endroits isolés, et portèrent peu de fruits. Dès l’année 972, Harald Blaatand, attaqué dans ses états par Othon-le-Grand, obtint la paix en se faisant baptiser. Mais son exemple n’entraîna pas la nation. Ce peuple de soldats, toujours occupé de batailles et de navigations lointaines, n’avait guère le temps d’écouter les sermons des missionnaires, et encore moins celui d’y réfléchir. La religion nouvelle qu’on lui prêchait, la religion humble et pacifique du Christ n’était d’ailleurs pas de nature à le séduire. Comment faire comprendre la loi de réconciliation à des hommes pour qui la vengeance était une joie et un devoir, la loi de justice à des tribus de corsaires qui passaient leur vie à s’en aller piller les côtes étrangères, et la loi d’humanité à ces guerriers farouches qui, pour détourner un malheur, pour conjurer le sort, faisaient couler le sang humain sur leurs autels ? Odin, avec sa lance meurtrière, Thor, avec son marteau, emblême de la force, c’étaient là des dieux qui devaient leur plaire, et quand on leur parlait de Valhalla, de ses combats éternels, de ses banquets enivrans présidés par les Valkyries, c’était là leur avenir, c’était là leur ciel.

Une autre difficulté s’opposait encore à l’enseignement du christianisme dans le Nord, c’était la langue. Les missionnaires français, anglais, allemands, qui se succédèrent dans ces contrées, ignoraient également et la langue islandaise et les nouveaux idiomes scandinaves. En l’an 1078, le pape Grégoire se plaignait encore à Harald Svendsson de cette difficulté, et l’invitait à envoyer quelques jeunes Danois à Rome, pour y apprendre les dogmes de la religion chrétienne, et retourner ensuite les enseigner dans leur pays.

Svend Treskiœg, le successeur de Harald, renia, comme Julien, la foi chrétienne, et voulut rétablir le culte des idoles ; mais, malgré l’indifférence ou l’aversion du peuple pour la loi de l’Évangile, malgré les entraves opposées au zèle des missionnaires, leur voix avait pourtant pénétré peu à peu dans la nation, et leurs leçons avaient trouvé des partisans. Lorsque, en l’année 1014, Canut-le-Grand monta sur le trône, on peut dire que la religion chrétienne était établie en Danemark. Il n’eut qu’à la soutenir, et il avait assez de force pour le faire. Jamais on n’avait vu dans le Nord un monarque aussi puissant. Il régnait à la fois sur le Danemark, sur la Scanie, sur l’Angleterre, sur l’Écosse, et à la mort d’Olaf-le-Saint, il fut le maître de la Norvége. Ses courtisans l’appelaient le premier des rois, et un poète composa un chant où il disait : « Canut gouverne la terre comme Dieu gouverne le ciel. » Mais toutes ces flatteries n’altérèrent point le sentiment religieux qu’il portait au fond du cœur. Après sa première expédition en Angleterre, il s’en alla à Rome, comme pour faire sanctionner par le chef de l’église la victoire qu’il venait de remporter. Dans l’église de Winchester, il posa sa couronne sur