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LA LITTÉRATURE EN DANEMARK.

la tête du Christ, et depuis ce temps il ne la porta plus. On connaît cette autre anecdote qui a été souvent citée comme un exemple d’humilité chrétienne. Un jour que ses flatteurs le poursuivaient plus que jamais de leurs louanges, il les conduisit au bord de la mer, se fit apporter son trône, et s’assit sur la grève à l’heure de la marée. Quand la vague écumante s’avança contre lui, il s’écria d’une voix impérieuse : « Je suis le plus puissant des monarques, le maître absolu de ces rivages ; je te commande de respecter la place que j’ai choisie, le sable où j’ai posé mon trône. » Mais la mer n’avait pas tant de respect pour le roi, et comme le flot opiniâtre continuait sa marche habituelle, Canut se leva, et se tournant vers ses courtisans : « Vous le voyez, dit-il, la puissance des rois de ce monde n’est rien ; il n’y a qu’un être vraiment puissant, c’est Dieu. »

Canut bâtit des églises et fonda des couvens. Ses successeurs soutinrent avec le même zèle les intérêts du christianisme. La religion d’Odin fut oubliée. Les prêtres devinrent ici, comme dans les autres contrées de l’Europe, les instituteurs du peuple. La science mondaine trouva un premier refuge dans la demeure de Dieu ; la civilisation sortit des cloîtres et des églises.

Pendant le temps de son épiscopat, saint Ansgard établit une école à Hambourg et y fit entrer douze jeunes Danois. C’est la plus ancienne école dont il soit question dans le Nord. Au xiie siècle, il y en avait une à Lund, au xiiie une à Odensée, une à Ribe, une à Roeskilde. C’étaient là les écoles des chapitres, placées sous la surveillance de l’évêque, et régies par les chanoines. Mais il y en avait encore d’autres dans les cloîtres, à Esrum, à Sorœ. Toutes ces écoles avaient des dotations particulières. Presque toutes devaient recevoir un certain nombre d’élèves gratuitement. À Odensée, deux évêques augmentèrent le traitement du maître et lui défendirent de rien recevoir des enfans pauvres. Éric Menved construisit pour eux une large maison[1], et l’évêque Navne en fonda plus tard une seconde. À Roeskilde, douze étudians pauvres étaient nourris, logés gratuitement à l’école et apprenaient la grammaire et la musique. Mais ces dotations ne pouvaient suffire aux besoins d’un grand nombre d’étudians, et ceux qui ne pouvaient obtenir un stipende avaient le privilége de mendier.

Les mêmes hommes qui avaient fondé dans les cloîtres ces établissemens d’instruction fondèrent aussi des bibliothèques. Ces bibliothèques se composaient de cinq à six volumes ; deux ou trois livres de prières et des traités de théologie étaient à cette époque une collection rare et précieuse. Cependant, dès le xiie siècle, il y avait quelques livres classiques dans le Nord. L’évêque Absalon donna un exemplaire de Justin au cloître de Sorœ. Saxo Grammaticus avait étudié Valère. Mais il arriva ici ce qui est arrivé dans le reste de l’Europe. Le papier n’était pas encore inventé ; le parchemin était rare et

  1. Erik Menved construxit domum divitem pro pauperibus scholaribus. (Langebek, Scriptores, rerum Danic., tom. iv, pag. 61.)