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toutes les difficultés, rien qu’en s’en tenant aux principes les moins abstraits de l’économie politique ; mais qu’il se bornera à démontrer l’inopportunité de la mesure. Cette tâche ne sera pas moins facile. Il suffira de prier la chambre de jeter ses regards au nord et au midi, et de se dire si les affaires d’Espagne, si la question du Luxembourg, si la complication des affaires du Canada, qui peut amener de graves différends entre l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique, si la situation générale de l’Europe est de nature à permettre, en ce moment, une opération dont on ne sortirait qu’avec plusieurs années de calme et de sécurité parfaite ? Quand la chambre saura bien qu’elle se lie les mains en ce qui concerne les améliorations matérielles du pays, et ses moyens de prépondérance au dehors, elle pourra du moins voter en connaissance de cause la loi du remboursement des rentes. Le ministère aura fait son devoir en lui faisant connaître toute la responsabilité qui s’y attachera.

Ce qui rend toujours les affaires difficiles à traiter dans un pays où tout le monde a droit de les discuter, et où un grand nombre exerce la prérogative de les résoudre, c’est le défaut des lumières qui seules peuvent les simplifier. Ainsi, il y a peu de temps, le gouvernement a accordé une faveur, ou, pour mieux dire, une récompense honorifique à deux diplomates. Cette distinction n’a rien coûté à l’état ; au contraire, elle lui a rapporté quelques milliers de francs, ce qui n’est pas à dédaigner dans un temps où l’on discute tout un jour pour gagner 4,000 francs sur la mort d’un général en chef. Voilà aussitôt tout le monde en rumeur. On revient à la féodalité, à la monarchie de Louis XIV, ou tout au moins à la restauration ! Assurément la France constitutionnelle va périr, et la contre-révolution est proclamée, puisque la caisse du sceau des titres s’est ouverte pour recueillir un tribut dont on voudrait voir la source à jamais tarie !

Les journaux légitimistes n’ont pas été des derniers à s’emparer de cette bonne aubaine. Cette fois, la révolution de juillet se trouve bien et duement convaincue, selon eux, d’avoir dévié de son principe. Créer des nobles ! quel cas pendable ! Pour la restauration, à la bonne heure. La presse et le parti légitimistes n’ont-ils pas honni, pendant quinze ans, la noblesse de Napoléon, tout en se servant des nobles de l’empire ? Nous ne sommes donc pas surpris de les voir attaquer avec les mêmes armes la noblesse de juillet, s’il y en avait une ; car cette noblesse dériverait d’un principe à peu près semblable à celui qui inspira à Napoléon la création de sa noblesse : du principe de l’égalité.

Plus un gouvernement multiplie les moyens de récompenser le mérite et les services qu’on lui rend, plus il multiplie ses chances de durée et de force. Dans un gouvernement absolu, rien de plus facile que de prodiguer les grades, les pensions et les emplois, sauf à grever l’état et à léguer à son successeur le soin de rétablir les finances délabrées par ce système. Dans un gouvernement constitutionnel, la question change, et les distinctions honorifiques sont souvent les seules distinctions par lesquelles on peut payer des services éminens. Or, dans un état de choses où tous les genres de mérite sont excités et mis en quelque sorte en mouvement, il est absurde de vouloir