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et fournir aux exigences successives de la position, mais sans gêner les mouvemens ni encombrer le théâtre de l’action. La troisième colonne, sous les ordres du colonel du 17e léger, était déjà tout entière dans la place, et cependant le cercle des opérations n’avait encore acquis qu’une extension médiocre. La disparition des deux chefs, le colonel Lamoricière et le colonel Combes, qui les premiers avaient conduit le mouvement, avait laissé le commandement flottant et incertain. Les soldats, ne voyant aucun but qui leur fût désigné, aucune direction qui leur fût positivement indiquée, toujours audacieux à braver le péril, mais irrésolus sur la manière de l’attaquer et de le faire reculer, s’exposaient beaucoup et avançaient peu, et perdaient du temps à se faire tuer. À gauche de la rue dont on faisait la grande ligne d’attaque, débouchait une rue transversale par laquelle arrivait sur le flanc gauche des assaillans un feu terrible. On s’opiniâtra long-temps à opposer sur ce point les coups de fusil aux coups de fusil ; mais dans cette lutte on ne pouvait parvenir à prendre le dessus sur un ennemi qui ne tirait qu’abrité par les murs des maisons ou par des saillies de bâtimens. Cependant la position sur laquelle il semblait posé si solidement, était minée sourdement et allait manquer sous lui. Une compagnie de Zouaves, appuyée de sapeurs du génie, avait abandonné la guerre des rues, qui est périlleuse et infructueuse pour l’assaillant, et avait commencé à faire la guerre de maisons, où les avantages sont à peu près égaux pour les deux partis. Une autre compagnie du même corps, se jetant absolument à gauche tout en débouchant de la brèche, avait poussé une attaque entièrement symétrique à celle qui avait été, dès le commencement, dirigée contre les batteries de la droite. Elle avait aussi trouvé des canonniers turcs qui s’étaient défendus jusqu’à la mort, dans une batterie casematée. De là elle avait cheminé lentement, péniblement, et souvent comme à l’aveugle, par des ruelles, des cours de maisons, des communications secrètes ; fréquemment le fil de la direction se perdait, et, pour le retrouver, il fallait percer des murs et briser des portes à coups de hache et de crosse de fusil, conquérir le passage sur des obstacles de nature inerte. Mais une fois que l’on eut effrayé la défense de ce côté, en lui faisant si chèrement expier ses efforts à la batterie, elle ne se montra plus, sur toute cette route, que timide et incertaine, soit que les ennemis craignissent, en s’attardant sur la circonférence, de se trouver serrés entre les différentes lignes de Français qui se ramifiaient dans la ville, soit que les plus résolus et les plus vaillans s’étant concentrés vers le cœur, il ne fût plus resté aux extrémités que les parties de la population les moins chaleureuses, les moins vives et les moins consistantes.

En s’avançant ainsi sans trop s’écarter du rempart, les Zouaves gagnaient, sans la connaissance des lieux et sous la seule influence de leur heureuse inspiration, la rue qui conduit à la Casbah, une des grandes voies de communication de la ville, celle qui passe par tous les points culminans de la position, la vraie route stratégique à travers ce pays ennemi. S’il leur avait été donné quelques instans de plus avant que les habitans ne cessassent les