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s’être beaucoup exercé à ce détestable argument, car c’était le seul qu’il eût à son service. Nasi fut blessé peu dangereusement, par bonheur. Hector se conduisit assez bien ; sans faire d’excuses pour sa conduite à l’égard de Nasi, il convint qu’il avait mal parlé de sa cousine dans un premier mouvement de colère, et il pria Nasi de lui en demander pardon de sa part. Il termina en demandant à ses deux amis leur parole d’honneur de garder le secret sur toute cette aventure, et ils la donnèrent. Comme nous étions témoins l’un de l’autre, Nasi ne voulut point quitter le terrain avant que je ne me fusse battu. Son domestique pansa sa blessure sur le lieu même, et le combat commença entre M. de Monteverbasco et moi. Je le blessai assez grièvement, mais non à mort, et, son médecin l’ayant transporté dans sa voiture, nous rentrâmes, Nasi et moi, à la villa. Comme il ne voulait point faire savoir à l’auberge qu’il était blessé, il se fit transporter dans le kiosque de son jardin. La Checchina, prévenue en secret de ce qui venait de se passer, vint nous joindre, et l’entoura des soins que son état réclamait. Quand il fut de force à se montrer, il pria la Checchina de dire à Alezia qu’il avait fait une chute de cheval, et il se présenta pour lui souhaiter le bonjour. Mais la vieille Cattina, qu’on avait délivrée, et qui, malgré la leçon, ne pouvait s’empêcher de s’enquérir de tout, afin de le redire à tous, savait déjà que nous nous étions battus, et déjà elle avait été le dire à Alezia, qui courut se jeter dans les bras du comte dès qu’il entra au salon. Quand elle l’eut remercié avec effusion, elle lui demanda où j’étais. Ce fut en vain que le comte répondit que j’étais aux arrêts par son ordre dans le kiosque, elle s’obstina à croire que j’étais dangereusement blessé, et qu’on voulait le lui cacher. Elle menaçait de descendre au jardin pour s’en assurer par elle-même. Le comte tenait beaucoup à ce qu’elle ne fît pas d’imprudence devant les domestiques. Il aima mieux venir me chercher et m’amener devant elle. Alors Alezia, sans s’inquiéter de la présence de Nasi et de Checchina, me fit de grands reproches sur ce qu’elle appelait mes scrupules exagérés. — Vous ne m’aimez guère, me disait-elle, puisque, quand je veux absolument me compromettre pour vous, vous ne voulez pas m’aider. — Elle me dit les choses les plus folles et les plus tendres, sans manquer à l’instinct d’exquise pudeur que possèdent les jeunes filles quand elles ont de l’esprit. Checchina, qui écoutait ce dialogue au point de vue de l’art, était émerveillée, comme elle me dit par la suite, della parte della marchesina. Quant à Nasi, je rencontrai dix fois son regard mélancolique attaché sur Alezia et sur moi avec une émotion indicible.