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sur le rez-de-chaussée, envahissent la voie publique de leurs angles désordonnés, l’écrasent de leurs encorbellemens, et l’attristent de la teinte sombre de leurs parois. Les coins les plus rians de ce lugubre ensemble, ceux sur lesquels les yeux fatigués peuvent le mieux se reposer, sont les ruines, qui, au moins, procurent un peu d’espace, d’air et de lumière. Ces traces de destruction se rencontrent fréquemment ; les unes n’indiquent que la marche du temps, les autres marquent les principales directions qu’avaient affectées nos boulets et nos bombes. Celles qui résultent de la vétusté semblent accuser le présent de décadence, en révélant dans le passé un temps de splendeur inconnue des jours actuels. Plusieurs de ces constructions affaissées sous elles-mêmes conservent encore, dans leurs débris, un certain caractère de supériorité et de prééminence sur toutes celles qui restent debout et entières autour d’elles. Peut-être, il est vrai, doivent-elles moins l’impression qu’elles produisent à leur beauté native qu’au désordre même et aux effets d’ombre et de lumière d’arceaux isolés et de cintres se découpant sur le ciel. Parmi les habitations qui ne sont pas à l’état de ruines, un très grand nombre ne sont que des masures ayant un simple rez-de-chaussée et une petite cour sombre et humide, de forme carrée ou triangulaire ; quelques-unes sont régulières et belles, avec deux et même trois étages au-dessus du sol, des colonnes en marbre et quelques reflets de luxe oriental. On y trouve peu de précision dans l’exécution et peu de régularité dans les détails, mais, en revanche, une certaine variété ; il n’y a pas, comme à Alger, un type unique de construction servilement calqué d’un bout à l’autre de la ville. Ici, la colonne est tantôt courte et forte, tantôt haute et svelte ; d’une maison à l’autre ou même d’un étage à l’autre, dans la même maison, l’ogive s’allonge ou se déprime, ou même fait place au plein-cintre et à la plate-bande. On peut remarquer l’ancien palais des beys avec sa cour longue et étroite, et, sur tout son pourtour, une colonnade soutenue à une grande hauteur par un soubassement plein. Plusieurs mosquées, quoique sans marbres et sans décorations brillantes, se font admirer par la multiplicité de leurs nefs, que séparent les unes des autres des rangées d’arcades ogivales. Mais, s’il est une perle qui brille dans ce fumier, c’est le palais que s’est fait arranger le bey Achmed. Il se compose de quatre cours inégales, rectangulaires, et entourées de galeries pavées en marbre et à ogives soutenues par des colonnes de marbre. Une seule n’a qu’un rez-de-chaussée ; les autres ont en outre un étage, plein et nu dans l’une d’elles, ailleurs décoré de galeries à colonnes de marbre. Les deux plus grandes cours encadrent, de leurs riches bordures de portiques, des parterres plantés au hasard d’orangers, de citronniers, de figuiers et de jasmin, avec des vignes enlacées aux arbres et suspendues aux arcades. Une autre cour a son espace intérieur presque entièrement occupé par un grand bassin carré, au milieu duquel, sur un massif à rebord de marbre blanc, s’élève une haute fontaine composée de plusieurs vasques de marbre blanc, qui s’étagent sur des supports de dauphins et de feuillages délicatement sculptés. La