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LES CÉSARS.

Ainsi allait le gouvernement, gouvernement de femmes, insolent, passionné, plein de caprices et de colères, ce que les Romains caractérisaient admirablement bien par ce seul mot, impotens. — Maintenant figurez-vous l’atrium du palais, divisé en plusieurs portions par de larges rideaux ; l’une était le vestibule, l’une l’antichambre, l’autre le salon. À force de supplier les affranchis, de se dérober aux gardes, d’implorer les portiers, les étrangers pénétraient jusqu’ici, jusque-là les cliens, plus loin les amis, plus loin encore les intimes, mais tous après avoir été sévèrement fouillés par les gardiens de la sûreté de César. Dans le dernier sanctuaire du temple, auprès du foyer, au milieu des tableaux, des statues, des dressoirs ornés de vaisselle précieuse, entre les vieilles et noires images des anciens Claudes et des anciens Césars, à côté de ces magots de la Chine qu’on appelait les lares domestiques, figure un bel homme (tel au moins selon les Romains, qui ne méprisaient rien tant que la délicatesse de la taille, et prisaient fort l’ampleur des formes), au ventre proéminent, à la figure noble, aux beaux cheveux blancs, digne et imposant dans le repos. Autour de lui bruit toute cette foule d’amis (terme romain pour dire courtisans), de solliciteurs, de sollicités, de patriciens, d’affranchis ; mélange de tous les rangs, image du niveau démocratique que tenaient en leurs mains Narcisse et Messaline ; esclaves parvenus, nobles ruinés ; barbares devenus sénateurs, sénateurs appauvris près de quitter le sénat ; astrologues, juifs, bouffons, philosophes, gens que le sénat chassait tous les dix ou quinze ans d’Italie, et qui n’y restaient pas moins ; députés des villes, ambassadeurs des Parthes ou des Germains, les deux seules puissances que Rome connût hors d’elle-même ; rois tributaires, trônant humblement dans quelque coin d’une province romaine, sous la suzeraineté de l’empire et sous l’inspection d’un préteur, humiliant ici leur diadème devant celui qui n’eût pas osé le porter.

Mais César se lève ; toute sa dignité l’abandonne. Il marche, ses jambes vacillent ; il veut sourire, il lui échappe un rire énorme, un rire de bête ; il parle, sa langue bégaie ; sa tête et ses mains sont toutes tremblantes. Cette foule l’entoure, le presse, l’importune. Il la repousse à deux mains, il va se boxer avec ses adulateurs. Il se fâche ; sa figure devient ignoble, sa large bouche est écumante, ses narines humides ; on dirait d’un lapithe ou d’un triton. « Qui suis-je donc ? Me prenez-vous pour un fou comme Théogone ? ne suis-je pas libre comme tout autre ? » Sa parole va, divague au hasard. Qui est-il ? — Où est-il ? — À qui parle-t-il ? Il ne le sait plus.