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LES CÉSARS.

Néron avançait rapidement dans la faveur de l’empereur. Agé de onze ans, il était fiancé à Octavie. Un peu plus tard il devenait par adoption fils de Claude : exemple unique, disait Claude lui-même, dans la famille Claudia, où personne n’était entré par adoption, et qui, depuis son cher Atta Clausus, ne faisait qu’une seule lignée. Un peu après, Néron épousait Octavie, et pour que cette union ne fût pas regardée comme incestueuse, Octavie sortait par adoption de la famille Claudia, comme Néron y était entré : singulières fictions de la légalité romaine !

Deux enfans représentaient alors deux partis dans Rome : Domitius devenu Néron, âgé de quinze ans, et Britannicus, âgé de treize ans ; le fils adoptif et le fils véritable de Claude. Mais Britannicus était délaissé ; ceux qui l’entouraient et l’aimaient, vieux soldats, fidèles affranchis, honnêtes gouverneurs, étaient envoyés en exil ; Agrippine lui donnait des précepteurs, c’est-à-dire des gardiens ou des espions. Toutes les intrigues qui se tramaient autour de Claude, le poussaient à préférer Néron. Néron recevait le proconsulat ; on se hâtait de lui faire prendre la robe virile, et ce jour même, aux yeux du peuple, sur le théâtre, ces deux princes se rencontraient l’un en habit triomphal, l’autre avec la bulle, la robe prétexte, l’habit d’enfant. Néron donnait des jeux au peuple, de l’argent aux soldats ; Néron apaisait une émeute. Il avait pour gouverneur et pour fournisseur de discours, Sénèque, illustre et populaire phrasier de ce temps, rappelé de l’exil par Agrippine. Néron, s’il y avait à présenter quelques demandes brillantes et favorables, arrivait armé de la faconde d’autrui, parlait latin, parlait grec, et au moyen d’un beau discours obtenait de Claude ce qui était déjà tout obtenu.

Agrippine était si sûre de Claude, qu’elle commençait à se croire moins sûre de Néron. Un des crimes de Lépida avait été d’être tante de ce futur empereur, de l’avoir élevé, d’être flatteuse et caressante pour lui, et Néron fut obligé, par sa mère, de déposer contre elle. Agrippine voulait bien qu’il fût empereur, elle ne voulait pas qu’il fût le maître. Rome s’attendait à une catastrophe. Il y avait un redoublement de ces accidens merveilleux dont l’histoire romaine est si prodigue : pluie de sang, enfans à deux têtes, essaim d’abeilles sur le Capitole, toutes ces choses dont Tite-Live est plein. En peu de mois moururent un consul, un préteur, un édile, un questeur, un tribun ; il n’y eut point de magistrature, comme on le remarqua par une superstition bien romaine, qui ne se trouvât décimée par la mort. Une truie naquit avec des griffes d’épervier, véritable emblème de Néron. Un prodige aussi, c’est que Claude commençait à s’éclairer. Narcisse,