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cultés de l’homme sont du même âge ; l’instinct mimique ou pittoresque n’est ni plus ni moins ancien que l’instinct musical ou lyrique ; les essais poétiques tentés sous ces trois formes sont contemporains. Et qu’on ne dise pas que la mise en scène du drame le plus simple a besoin de plus d’appareil que la récitation d’un poème ou le chant d’une ode. Dans l’enfance de l’art, comme dans celle des individus, l’instinct mimique est facile à satisfaire ; il ne faut à l’enfant qu’un bâton pour se faire un cheval[1], qu’une plume rouge ou bleue au Péruvien pour le transformer en cacique ou en dieu. Je crois donc que ces distinctions d’âge et d’époques qui tendent à échelonner chronologiquement les trois genres de poésie sont tout-à-fait illusoires ; elles ont de plus cela de dangereux qu’elles peuvent faire croire qu’il y a des temps où le drame n’existe pas encore, et d’autres où il n’existe plus, double supposition également inexacte ; en effet, on peut toujours et partout, suivant moi, trouver le drame plus ou moins développé, plus ou moins pur d’autres élémens, non-seulement parce que l’instinct mimique est universel, mais encore parce qu’il y a dans le cœur humain deux autres sentimens qui rendent les émotions du drame nécessaires à toutes les réunions d’hommes, la curiosité et la sympathie.

La division de la poésie en trois genres est fort commode en théorie ; elle est même d’une application très facile tant qu’on ne sort pas des temps où les genres épique, lyrique et dramatique sont bien tranchés comme aujourd’hui ; mais un des inconvéniens les plus graves de cette division, c’est de n’être applicable qu’aux époques de littératures classiques et régulières, telles que les siècles de Périclès, d’Auguste et de Louis XIV. Quand on a la fantaisie d’étudier les temps d’anarchie poétique, c’est-à-dire le commencement et la fin de toutes les littératures, cette division, au lieu d’être un aide et un guide, devient un embarras et une cause d’erreurs. C’est le propre des origines en tous genres de présenter tous les élémens en masse et confondus. Dans ces époques concrètes, toutes les facultés poétiques confinent et se touchent ; toutes les sortes de poésie se mêlent. Il est, dans ce chaos, fort difficile d’abstraire entièrement un genre et de l’isoler des genres voisins. Nous éprouvons cette difficulté dans la recherche du drame au moyen-âge. Notre tâche, et, si nous réussissons, notre mérite, sera de reconnaître et de dégager l’élément dramatique caché et comme perdu dans les genres environnans. Aussi, pour nous préparer à ce travail de découverte, nous importe-t-il d’établir, dès à présent, que le mélange des genres est la loi des littératures qui commencent et qui finissent, et que, dans de telles circonstances, le génie dramatique ne se montre guère sans être à demi revêtu de la parure épique ou lyrique.

À quels signes alors reconnaîtrons-nous le drame ? Nous venons de voir que le génie dramatique découle principalement de l’instinct d’imitation ; c’est un indice, mais qui seul ne serait pas suffisant. Trouverons-nous dans la forme dialoguée le signe distinctif du drame ? Non ; car un monologue peut

  1. Horat. lib. ii, satir. iii, v. 248.