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composition des chœurs tragiques. On imagina, pour diminuer les frais que demandait l’instruction des choreutes, de placer, à la dernière rangée, de simples figurans qui remuaient les lèvres sans chanter. Cette tricherie a été signalée par Ménandre. « Dans les chœurs, dit-il, tous ne chantent pas ; mais il y a deux ou trois personnages qui restent muets, et qui sont là seulement pour faire nombre[1]. » C’est à ces figurans, bouches muettes, mais non pas inactives, qu’Horace fait allusion, quand il dit :

Nos numerus sumus et fruges consumere nati.

Je ne pense pas, avec Bœttiger, que l’altération des chœurs soit allée plus loin, et qu’on ait fini par introduire des mannequins au dernier rang[2]. Ce mélange, comme le remarque M. Bœckh[3], eût singulièrement gêné les évolutions des choreutes ; et cette supposition, d’ailleurs, contredit une autre conjecture plus heureuse de Bœttiger lui-même. En effet, il suppose[4] que, sous les successeurs d’Alexandre, il n’y avait dans les chœurs tragiques que des acteurs muets, sauf le coryphée qui chantait seul les paroles (cantabat), tandis que la troupe faisait des gestes analogues au chant (saltabat). Bœttiger rapporte à cette étrange répartition des rôles l’origine de la séparation non moins étrange des paroles et des gestes, que Livius Andronicus introduisit sur la scène romaine.

Mais indépendamment du grand théâtre religieux et national, où les citoyens prenaient part, soit comme ordonnateurs ou acteurs, soit comme assistans, il y eut en Grèce d’autres spectacles où le peuple ne se montrait que comme spectateur et n’apportait que son goût pour la dissipation et le plaisir. En effet, les représentations solennelles étaient trop dispendieuses, et, par cela même, trop rares, pour satisfaire à elles seules la passion que les Grecs avaient pour les distractions scéniques. De plus, tous ceux qui n’étaient pas de condition libre étaient exclus des grandes solennités théâtrales. Enfin, toutes les villes ne pouvaient pas avoir un grand théâtre, et subvenir aux dépenses qu’exigeaient les représentations comiques et tragiques. Il fallut donc pour les besoins de tous les jours, de toutes les conditions et de tous les lieux, qu’il y eût des comédiens d’un ordre inférieur, chargés de procurer continuellement et à peu de frais les émotions du drame à toutes les classes d’habitans.

SPECTACLES SECONDAIRES. — CHANTEURS ET DANSEURS AMBULANS.

L’étude de l’antiquité nous prouve qu’il existait un nombre très considérable d’artistes de second ordre qui donnaient au peuple, dans les rues et sur les places, des divertissemens de toute espèce. Il y avait, d’abord, des musiciens ambulans, successeurs des anciens Homérides, qui parcouraient les

  1. Menandr. Fragm., pag. 61, ed. Meinek.
  2. Bœttig., Furien-Maske, num. x.
  3. Bœckh, De Græc. tragæd. princip., pag. 92, seqq.
  4. Boettig., De quatuor rei scen. œtat., pag. 12-16.