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ORIGINES DU THÉÂTRE.

la plupart des cas, ils jouaient sans masque et le visage seulement noirci ou coloré[1]. Il résulta de l’absence des masques que les hommes cessèrent de remplir aussi commodément les rôles de femmes. Exclues de la scène, les femmes furent admises sur l’orchestre ou le thymélé. On ne peut douter, en effet, qu’il n’y ait eu des femmes mimes en Grèce, μιμάδες[2], δεικτηριάδες[3], particulièrement dans les contrées doriennes, d’où elles passèrent en Sicile, puis dans la Grande Grèce, et enfin à Rome. Si même on en croit une phrase douteuse d’un auteur dont l’authenticité elle-même n’est pas certaine, il était permis aux femmes les plus distinguées de Sparte de monter sur la scène. « Nulla Lacedæmoni tam est nobilis vidua, quæ non ad scenam eat mercede conducta ». Mais d’habiles critiques contestent précisément les mots ad scenam[4].

Toutes les pièces connues sous le nom générique de mimes, tous les petits drames qui ne concouraient pas, comme les tragédies et les comédies, pour les prix solennels, et qui n’étaient, au temps de Sophocle et d’Aristophane, qu’un accessoire amusant du grand théâtre, prirent presque exclusivement possession de la scène, quand arriva la décadence. En effet, après l’occupation d’Athènes par Lysandre et sous les régimes diversement oppressifs qui suivirent, la tragédie faute de subsides, et la comédie faute de liberté, devinrent de plus en plus rares à Athènes. Acteurs et poètes se tournèrent vers les cours opulentes de Macédoine, de Sicile, d’Égypte et de Syrie. Alors, à l’ombre des palais de Pergame, de Pella, de Syracuse et d’Alexandrie, le grand art, l’art vigoureux et libre des Eschyle et des Aristophane, s’abâtardit et s’énerva. Le genre mimique, né depuis long-temps à Syracuse, grandit et supplanta les autres genres. Le goût trivial, prosaïque et libertin des princes de Macédoine, d’Égypte et de Syrie, finit par régner seul dans la Grèce esclave.

À Athènes, la comédie dite nouvelle, la comédie de Ménandre et de Philémon, fut l’expression la plus élevée d’un genre nouveau, qui, comme les mimes, se renferma presque uniquement dans la peinture des vices populaires et des ridicules de la classe la moins élevée. Peu à peu les différences qui avaient séparé les pièces de Sophron de la comédie d’Épicharme s’effacèrent ; alors, comme le remarqua plus tard l’empereur Antonin, il n’y eut plus, sous diverses formes et divers noms, que des mimes, c’est-à-dire que des imitations plus ou moins prosaïques de la vie commune et réelle : l’élément religieux, l’imitation poétique, l’idéal, en un mot, avaient disparu.

Charles Magnin.

(Le drame aristocratique au no  prochain.)

  1. Je crois que les mimes ithyphalles et ceux qui jouaient les comédo-tragédies ou parodies de pièces tragiques étaient seuls masqués.
  2. Suidas, voc. Κρίσεως, ex. Æliano. — Claudian., Epigr. II, in Brunck Analect., tom. II, pag. 447.
  3. Athen., lib. xiii, pag. 576, F, ex Polybio, lib. xiv, cap. II — Nous trouvons plus particulièrement en Syrie des femmes lysiodes. Voyez Athen., lib. v, pag. 211, B.
  4. Cornel. Nepos, Profat., § 4. — On propose de lire ad lænam ou ad cænam… condicta.