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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

œuvres lyriques de M. Hugo. Quoique l’auteur n’ait réalisé qu’à moitié le dessein qu’il avait conçu, quoiqu’il n’ait pu réhabiliter la pensée selon son espérance et ramener la langue à la docilité, il y a dans le caractère général des Feuilles d’Automne un aveu honorable que nous devons enregistrer. M. Hugo, malgré le succès éclatant des Orientales, a senti qu’il y a, au-delà de la poésie extérieure, une poésie moins éclatante, mais d’une beauté plus sérieuse, et il s’est proposé d’atteindre le but qu’il avait entrevu. À notre avis, il est demeuré bien loin de ce but glorieux ; mais la justice nous commande de louer son courage et son espérance.

Le cercle parcouru par l’auteur des Feuilles d’Automne embrasse un immense horizon ; car le poète ne se propose rien moins que de chanter les joies de la famille et d’enseigner à l’humanité les devoirs qui la régissent et la destination qui lui est assignée. Si jamais sujet fut vaste et capable d’emporter la pensée dans les plus hautes régions, à coup sûr c’est le sujet des Feuilles d’Automne. Pourquoi donc M. Hugo est-il demeuré au-dessous de la tâche qu’il avait choisie ? Pourquoi les joies de la famille et la destination providentielle de l’humanité ne trouvent-elles, dans les Feuilles d’Automne, qu’un écho confus et à peine saisissable ? Pourquoi les pensées que le poète a voulu nous révéler, sont-elles traduites dans une langue obscure dont nous cherchons vainement la clé ? Il nous semble que l’achèvement d’un édifice tel que les Orientales ne pouvait demeurer impuni. M. Hugo venait d’élever un temple à la parole et d’adorer la rime en toute humilité. Il venait de s’agenouiller devant l’image égoïste et de rayer la pensée du livre de la poésie ; il fallait que cette idolâtrie fût châtiée tôt ou tard. Le jour où il a voulu écrire les Feuilles d’Automne et chanter les joies de la famille et le but assigné à l’humanité, le châtiment a commencé. Vainement il essayait d’interroger son cœur, son cœur refusait de répondre, et sa lèvre, prodigue de paroles, imposait silence à sa pensée engourdie. C’est là, certes, un enseignement qui mérite d’être médité. Le germe caché dans le cinquième livre des odes n’avait pu être deviné que par un petit nombre de lecteurs. Mais il était permis d’espérer que ce germe se développerait et arriverait à maturité. L’heure de la maturité est venue, et le germe avait disparu. La composition des Orientales avait imposé à M. Hugo des habitudes désormais invincibles ; le culte exclusif du vocabulaire avait altéré sans retour la pensée du poète, et l’avait détournée de la vie commune : lorsqu’il a tenté de rentrer dans la famille humaine qu’il avait abandonnée, lorsqu’il