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peindre, il est toujours là pour répondre à l’appel. C’est donc à lui, à lui seul, qu’elle s’adresse en toute occasion : elle trouve dans le vocabulaire des mots qui traduisent tous les caprices de la lumière, toutes les formes des corps, toutes les nuances, tous les rayons, toutes les ombres. Abusée par la complaisance et la docilité du vocabulaire, elle arrive bientôt à croire que la langue est tout entière dans les mots ; et, le jour où elle a besoin d’exprimer une idée étrangère au monde visible, le jour où elle veut parler à l’intelligence de l’intelligence elle-même, elle s’aperçoit, mais trop tard, que le vocabulaire réduit à ses seules ressources, ne suffit pas à remplir cette tâche. Elle appelle à son secours la syntaxe qu’elle avait si long-temps dédaignée ; mais cette alliée si injustement oubliée refuse de répondre, et la poésie bégaie au lieu de parler. Ce que j’énonce ici sous une forme générale, il est facile de le vérifier en lisant Notre-Dame. Il est évident que M. Hugo, en maniant le vocabulaire, a mis en lumière plusieurs faces de notre langue qui jusqu’ici étaient demeurées dans l’ombre, ou qui, après avoir brillé quelque temps, étaient tombées en oubli. Mais il a négligé les lois qui président au maniement du vocabulaire, parce que la connaissance et l’application de ces lois avaient à peine un rôle à jouer dans la peinture de la pierre et de l’étoffe. S’il eût mis les hommes sur le premier plan et l’église à l’horizon, bon gré, mal gré, il eût été amené à invoquer le secours de la syntaxe ; renfermé dans le domaine des choses, il a dû manier exclusivement la partie matérielle de la langue. C’est pourquoi la prose de Notre-Dame de Paris est une prose éclatante, mais d’une beauté très incomplète.


Les drames de M. Hugo, sont, à notre avis, la plus faible partie de ses œuvres. Si ce que nous avons dit de ses œuvres lyriques et de ses romans, a été bien compris, personne, sans doute, ne s’étonnera de notre sévérité. Le drame est, en effet, de toutes les formes littéraires, celle qui exige le plus impérieusement la connaissance des hommes, et nous avons quelque raison de croire que M. Hugo ne les a jamais étudiés. Nous ne croyons pas, nous sommes loin de croire qu’il ait accompli toutes ses promesses ; mais lors même qu’il les eût accomplies tout entières, il n’aurait pas encore satisfait à toutes les conditions de la poésie dramatique. La préface de Cromwell, où il exposait, en 1827, sa théorie du drame, prouve clairement qu’il a sur la poésie, en général, et sur le drame en particulier, des idées fort incomplètes et très peu précises. Il affirme que partout