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de ces courtisans qui se hâtent de sortir par toutes les portes du palais. Cela est simple et beau ; malheureusement on n’en peut savoir gré ni au musicien, ni même au poète ; ces choses-là, personne ne les invente, elles se trouvent par hasard, d’elles-mêmes, et voilà peut-être ce qui en fait le charme et la naïveté.

Le morceau qui ouvre le troisième acte révèle des qualités de style qui seraient plus à leur aise dans une musique d’église ; les lamentations du vieillard s’exhalent dignement, les masses de l’orchestre y répondent avec grandeur et solennité. Je passe sur le chœur des bandits, dont M. Auber pourrait au besoin réclamer le motif, et j’arrive à la grande scène de l’acte. Ginevra repose sur son lit de marbre ; Guido s’introduit dans le sanctuaire, et, tandis que la pierre est levée encore, descend dans le caveau et vient pour la dernière fois baiser les pieds glacés de sa bien-aimée. La ritournelle de trompette qui accompagne Guido dans le funèbre escalier est d’un effet terrible, et prépare l’esprit aux sombres émotions du drame. Quelle scène que celle là, mon Dieu ! la scène de Roméo ! Et dire que M. Halévy manque un sujet pareil ! dire que l’idée de Shakespeare est impuissante à faire jaillir de cette ame un éclair de mélodie et d’inspiration ! En vérité, c’est à désespérer. M. Halévy livre Duprez à lui-même. À cet enthousiasme avide, à cette voix passionnée et sublime, il ne donne pour aliment qu’une de ces phrases banales comme le simple rhythme des paroles vous en inspire au premier coup d’œil, une phrase aussi originale pour le moins que la strette de l’air d’Eléazar dans la Juive ! Cela se peut-il concevoir ? Être musicien et ne pas trouver dans le fond de son ame une larme mélodieuse pour les douleurs de Roméo ! Certes Zingarelli était bien loin d’avoir reçu du ciel le feu créateur de Mozart, par exemple, et cependant cette scène suffit pour faire de lui un homme de génie. Oh ! si Duprez pouvait chanter Ombra adorata, au lieu de cette plainte monotone où sa voix semble se traîner à regret ! En Italie, cela serait ainsi. Quand il arrive à un maître italien de sentir qu’il est resté au-dessous de son sujet, il emprunte tout simplement la scène du compositeur qui a le mieux réussi avant lui en pareille circonstance, et la met à la place de sa propre inspiration. Et qu’on ne dise pas que c’est là un usage qui n’a cours que dans les basses régions de la médiocrité, car on pourrait à ce propos citer les plus beaux noms. Bellini n’est certes pas un maître ordinaire, et je ne pense guère qu’on puisse jamais vouloir établir de comparaison sérieuse entre l’auteur de Norma et de la Sonnanbula et le musicien qui a écrit la Juive et l’Éclair, et pourtant nous avons vu Bellini provo-