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ŒUVRES D'HISTOIRE NATURELLE DE GOËTHE.

expliquer toute l’organisation des parties par l’usage auquel elles sont destinées. Or certainement, pour la nature, c’est là une intention secondaire, et elle est dominée par quelque chose de supérieur. Ceux qui ont étudié l’anatomie philosophique n’ont pas besoin qu’on leur démontre la vérité de cette proposition, qui est partout écrite dans les similitudes des animaux ; cependant j’en rapporterai quelques exemples pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec cet ordre de considérations.

Dans l’espèce humaine, la femme porte deux mamelles, sources de vie et de nourriture toutes préparées pour l’enfant qui vient de naître. Cela est très manifeste, sans doute ; mais que signifient ces deux mamelles rudimentaires que l’homme porte sur sa poitrine ? évidemment elles ne servent à rien, et, dans la théorie des causes finales, leur présence est tout-à-fait inexplicable. Mais quand on se rappelle que dans toute la série des animaux la nature ne procède jamais que par des transitions, que partout elle indique encore ce qu’elle va effacer, on comprendra comment, dans l’espèce humaine, elle a laissé sur l’homme une simple trace de ce qui est complètement développé chez la femme ; trace fugitive, il est vrai, insignifiante à des yeux inexercés, mais qui, déchiffrée et comprise, révèle une des lois les plus fécondes de l’organisation, celle qui asservit la nature à toujours enchaîner les formes les unes aux autres, à toujours produire, de ce qui est, ce qui doit être. La cause finale eût effacé cette trace, la loi de développement ne pouvait pas ne pas la laisser subsister.

L’idée de développement, supérieure à l’idée de cause finale ou d’appropriation des parties à leurs usages, se manifeste encore d’une manière frappante dans les cétacés. Ces animaux, quoique habitans de la mer à côté des autres poissons, n’en sont pas moins des mammifères du même ordre que l’éléphant et le taureau. Or, si la nature n’avait pas, dans ses propres lois, quelque chose qui domine ce que l’on a appelé causes finales, c’est-à-dire si elle ne s’occupait que de construire les organes pour l’usage auquel ils sont destinés, elle eût donné aux cétacés des nageoires conformes à celles des poissons, lesquelles suffisent parfaitement à la locomotion de ces animaux. Mais il n’en est point ainsi. Détachez la peau qui couvre la nageoire de la baleine, disséquez cette partie, rendez-vous compte des élémens qu’elle contient, et vous y trouverez un humérus et tous les autres os qui constituent un bras chez l’homme et une patte de devant chez un quadrupède. Tant il est vrai que la nature n’a pu se dis-