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mieux conformées, les sillons du front moins marqués, et en général toutes les parties paraissent plus achevées.

« Le crâne nouveau dénote plus de réflexion, de docilité, de bonté, d’intelligence même ; l’ensemble des formes est plus noble. Celui du taureau fossile dénote un animal plus sauvage, plus indocile, plus brute et plus entêté. Le profil du taureau antédiluvien se rapproche de celui du cochon, surtout dans la partie frontale, tandis que la tête du taureau vivant rappelle un peu celle du cheval.

« Des milliers d’années séparent le taureau antédiluvien du bœuf. L’instinct, de plus en plus prononcé, qui portait l’animal à regarder devant lui, a modifié la direction des cavités orbitaires et a changé leurs formes ; les efforts qu’il a faits pour entendre plus facilement, plus distinctement et de plus loin, ont élargi les cavités auditives et les ont rendues plus convexes en dedans ; l’instinct animal qui le porte à chercher sa nourriture et à augmenter son bien-être a élevé peu à peu le front à mesure que les impressions du monde extérieur agissaient sur le cerveau. Je me représente le taureau antédiluvien au milieu d’espaces immenses, couvert du lacis végétal de la forêt primitive, qui cédait à sa force sauvage ; le taureau actuel, au contraire, se plaît au milieu de riches pâturages bien aménagés et se nourrit de végétaux cultivés. Je conçois que l’éducation domestique ait fini par le soumettre au joug et l’astreindre à la nourriture de l’étable ; que son oreille se soit accoutumée à entendre la voix de son conducteur et à lui obéir, et que son œil ait appris à respecter la position verticale de l’homme. Le taureau fossile existait avant l’homme, ou plutôt il était sur la terre avant que l’espèce humaine existât pour lui. Les soins, l’influence prolongée de l’homme ont évidemment amélioré l’organisation de la race fossile. La civilisation a forcé un animal stupide, qui avait besoin qu’on lui vînt en aide, à se laisser mettre à l’attache, à manger dans une étable et à paître sous la garde d’un chien, d’une gaule ou d’un fouet. Elle a ennobli son existence animale en en faisant un bœuf, c’est-à-dire en l’apprivoisant. »

Ce développement de la tête du taureau, qui est du fait de la nature, peut, si l’on veut, se comparer au développement que la tête du Jupiter olympien a prise sous la main du statuaire.

Toutes les considérations précédentes concourent à prouver que la nature est circonscrite dans son pouvoir créateur, quoique les variétés de forme soient à l’infini à cause du grand nombre des parties et de leurs modifications possibles. « Au budget de la nature, dit Goëthe,