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politiques à un homme qui ne s’en soucie point, qui renferme sa vie dans son proverbe : Oveja de casta, pasto de gracia, hijo de casa (brebis de race, repas gratis, enfant de la maison) ; à un homme qui, comme le Bédouin, armé de son escopette et suivi de ses moutons, n’a besoin pour vivre que d’un gland, d’une figue, d’une olive ? Il ne lui faut qu’un voyageur ennemi pour l’envoyer à Dieu, qu’une chevrière pauvre et fille d’un vieux père pour l’aimer. « Père vieil et manche déchirée n’est pas déshonneur. » Padre viejo, y mangea rota, no es deshonrra. Le majo (berger) en soie du Guadalquivir, lance en houlette, chevelure retenue par une résille, ne distingue jamais la chose de la personne et réduit toute dissidence d’opinion à ce dilemme : Tue ou meurs.

Ce caractère est si profondément gravé dans le moule ibérien, que la partie modernisée de la population, en adoptant les idées nouvelles, garde à travers ces idées son génie primitif. Aurait-on pu croire que des Espagnols égorgeassent des moines ? C’est ce que font sans remords et sans pitié les liberalès. Cependant l’autorité des religieux datait de loin dans la Péninsule ; cette autorité n’était pas uniquement fondée sur la foi des peuples, elle avait encore une source politique. Dès l’an 852, les martyrs de Cordoue, Aurelius, Jean, Félix, George, Martial, Roger, frappés du glaive ou jetés dans le Bétis, se sacrifièrent autant à la liberté nationale qu’au triomphe de la religion chrétienne.

Les moines combattirent avec le Cid et entrèrent avec Ferdinand dans Grenade. On les massacre nonobstant. Pourquoi ? Parce que dans un certain parti, une haine, empruntée d’ailleurs, ingrate et non motivée, s’est élevée contre eux. Or, en Espagne, que l’on aime ou que l’on haïsse, tuer est naturel ; par la mort on se flatte d’atteindre à tout. Les aventuriers qui, l’épée à la main, s’avançaient dans les flots jusqu’à la ceinture pour prendre possession de l’Océan Pacifique, avaient entrepris de rendre l’Amérique à ses déserts ; l’Espagnol convoitait la domination de l’univers, mais de l’univers dépeuplé ; il aspirait à régner sur le monde vide, comme son Dieu assis en paix dans la solitude de l’éternité.

À cet indomptable despotisme de caractère se trouve réunie, par un contraste étonnant, une nature apathique et comique, molle et vantarde. Dans la guerre civile, quand une bande a obtenu un succès, vous croyez qu’elle le va poursuivre ? point ; elle s’arrête, reste sur les lieux à publier des rodomontades, à chanter sa victoire, à jouer de la guitare, à se chauffer au soleil. Le battu se retire paisiblement