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CONGRÈS DE VÉRONE.

Les serviles, qui se paraient de leur nom comme de la pourpre, profitaient d’une heure de repos et de la réaction contre les sociétés secrètes, pour ressaisir le pouvoir. Des émeutes royalistes remplacèrent des insurrections révolutionnaires. Les descamisados, matadors de serviles, furent abattus à leur tour ; ils renouvelaient les sacrifices humains de leurs ancêtres les Carthaginois. Des partis monarchiques, à l’ancienne guise, parurent. Govostidi, Misas, Mérino, fabuleux héros de presbytère, se levèrent en Biscaye, en Catalogne, en Castille. Ces insurrections s’étendirent ; on y vit briller Quesada, Juanito, Santo-Ladron, Truxillo, Schafaudino, Hierro. Enfin le baron d’Eroles se montra dans la Catalogne ; auprès de lui était Antonio Maranon. Antonio, dit le Trappiste, fut d’abord soldat ; jeté par des passions dans les cloîtres, il portait avec le même enthousiasme la croix et l’épée. Son habit militaire était une robe de franciscain, sur laquelle pendait un crucifix ; à sa ceinture étaient un sabre, des pistolets et un chapelet : il galopait sur un cheval, un fouet à la main. La paix et la guerre, la religion et la licence, la vie et la mort, se trouvaient ensemble dans un seul homme, bénissaient et exterminaient. Croisades et massacres civils, cantiques et chants de gloire, stabat mater et tragala, génuflexions et jota aragonese, triomphe du martyr et du soldat, ames montant au ciel dans l’encens du veni creator, rebelles fusillés au son de la musique militaire : telle était l’existence dans ce coin retiré du monde.

Ferdinand, sur les bords du Tage, rio qui cria oro e piedras preciosas, avait juré la constitution pour la trahir. Des amis sincères l’invitaient à modifier les institutions, d’accord avec les cortès ; des amis aveugles le pressaient de les renverser. Le succès des royalistes flattait en secret le monarque ; l’espoir de la souveraineté sans contrôle le chatouillait : moins on est capable du pouvoir, plus on l’aime.

La fête du roi se chômait le 30 mai ; elle fut célébrée par les paysans de la Manche, réunis dans Aranjuez. On aurait pu se croire aux beaux jours de la Bétique. « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or, dit l’archevêque de Cambray. Les femmes filent cette belle laine et en font des étoffes fines d’une merveilleuse blancheur. En ce doux climat, on ne porte qu’une pièce d’étoffe fine et légère, qui n’est point taillée, et que chacun met à longs plis autour de son corps pour la modestie, lui donnant les formes qu’il veut. »

Ces rêves de Fénelon allaient disparaître devant la vérité. En vain les militaires répétèrent à Aranjuez le cri d’amour des paysans, comme les gardes-du-corps chantèrent à Versailles : « Ô Richard ! ô