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DE L’ALLEMAGNE.

passé le Rhin dans ce redoutable moment, que l’Allemagne, recommençant sa guerre de trente ans, aurait vu s’ouvrir pour elle un avenir rempli des plus terribles perplexités.

La courageuse persévérance du gouvernement français en face des factions sut épargner au monde une telle épreuve, dans laquelle ce gouvernement courait peut-être la chance de disparaître, mais avec celle beaucoup plus assurée de faire tomber aussi tous les autres. L’attitude prise par le ministère du 13 mars sauva l’Allemagne monarchique. D’un autre côté, le mouvement remuant d’abord la jeunesse et les masses populaires, au lieu d’avoir pour centre et pour règle l’opposition des corps légalement constitués, dut tourner vite au jacobinisme, et les intérêts alarmés firent taire des sympathies d’abord unanimes. Lorsqu’aux fêtes de Weinheim, de Kœnigstein et de Hambach, on vit les passions démocratiques se produire sous les expressions les plus ardentes, et que sur des ruines contemporaines des Hauhenstaufen, on entendit l’hymne enflammé de la Marseillaise, répété en chœur par vingt mille hommes, lorsque la Tribune allemande provoquait ouvertement à la chute de tous les trônes, et que des publicistes, solennellement absous par le jury, confessaient en plein tribunal l’intimité de leurs rapports avec les sociétés républicaines[1], alors une réaction ne put manquer de s’opérer dans l’opinion de ces contrées, réaction dont les gouvernemens surent profiter avec autant d’à-propos que de décision. Lorsqu’elle commença, la Pologne d’ailleurs avait succombé, et l’on avait cessé de compter sur la France. De plus, celle-ci se présentait alors sous un aspect peu propre à encourager l’esprit novateur : d’une part, elle avait soulevé contre elle la conscience des populations religieuses, par le sac du plus vieux temple de sa capitale et ses insultes au signe vénéré de la foi et de la liberté du monde ; de l’autre, elle n’avait point encore acquis, en compensation de la force inhérente à tout élément indompté, cette autre force d’opinion et de crédit qui s’attache aux situations régulières et solidement assises ; on ne croyait plus à sa verve révolutionnaire, et l’on doutait encore de sa puissance légale.

Ce fut le moment choisi par la diète de Francfort. Alors parurent ces ordonnances mémorables, qu’on peut appeler avec justice les ordonnances de juillet d’outre-Rhin, mesures qui devaient changer radicalement l’état politique de l’Allemagne, et revêtir la diète d’attributions auxquelles n’avaient jamais pensé, à coup sûr, les rédacteurs des traités de 1815, mais qu’on put avec

  1. « Mes principes sont ceux que j’ai exposés à Hambach ; mon but est d’éclairer les peuples sur leurs droits, et de leur prouver de la manière la plus évidente que les trônes sont fondés sur l’usurpation… Je reconnais que les peuples ne sont pas encore suffisamment éclairés pour renverser cette usurpation ; mais une fois que le moment sera venu, je n’hésiterai pas un instant à les y provoquer de la manière la plus formelle et la plus positive, en leur criant : Aux armes ! aux armes ! Marchons au renversement des rois et à la destruction des trônes ! » (Le docteur Wirth, Discours à la cour de Landau, 25 juillet 1832.)