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DE L’ALLEMAGNE.

de notre nature, c’est la religion, qui relie les ames comme la politique associe les intérêts. Les concilier toutes deux est une admirable chose ; subordonner l’une à l’autre est un pauvre calcul qui ne saurait conduire qu’à l’abaissement de l’homme et à la dégradation morale de la société.

L’idée de confondre dans une unité nouvelle, d’embrasser dans un rituel national les deux cultes réformés, fut la préoccupation dominante d’un roi patriote et pieux. Calviniste sincère, Frédéric-Guillaume III fit à ce plan de toute sa vie quelques sacrifices théologiques, et l’église évangélique fut fondée sur des bases, sinon durables, du moins assez généralement acceptées[1]. Cette église est arrivée, en prenant soin de s’occuper beaucoup moins du dogme que de la liturgie extérieure, à fonctionner assez régulièrement, à la manière de toutes les institutions officielles réglementées et salariées ; établissement royal parfaitement inoffensif du reste, qui est à une autre église de même origine ce qu’un bon mari morganatique est au terrible époux d’Anna Boleyn.

Mais cette tâche n’était pas la plus ardue ; une autre restait entière, et c’est ici que se sont rencontrées des résistances dont il est encore difficile d’assigner le terme, et qui projettent un jour nouveau sur la situation de ce pays. Les cinq sixièmes des populations adjugées à la Prusse par le congrès de Vienne professaient le catholicisme, et cette croyance dominait surtout presque sans exception toutes les populations rhénanes, qu’il s’agissait de pénétrer de cet esprit anti-français, jugé nécessaire pour consolider l’œuvre de 1815[2].

A-t-il existé un plan parfaitement arrêté à Berlin pour protestantiser les provinces rhénanes et westphaliennes ? nous ne le croyons pas. Assurément une telle idée ne s’est présentée ni à Frédéric-Guillaume ni à Guillaume de Nassau, comme pouvant comporter une exécution immédiate. Ce sont là de ces parties trop hasardeuses pour les jouer de sang-froid et cartes sur table. Dans ce cas, on procède bien plutôt par tendances que par entreprises avouées.

Quoi qu’il en soit, le roi de Prusse, qui est parvenu à faire vivre en bonne intelligence Luther et Calvin, au moyen de bons traitements, a pu se flatter d’arriver à effacer graduellement, et pour ainsi dire de génération en génération, toutes les aspérités du dogme catholique ; il a pu croire qu’il agirait assez à la longue sur le génie intime de l’église romaine, tout en respectant scrupuleusement sa hiérarchie extérieure, pour modifier les points par lesquels la

  1. Cette institution fut organisée en 1817, lors de la troisième fête séculaire de la réforme.
  2. Voici, d’après un journal allemand, la proportion des différens cultes dans les provinces méridionales :

    Gouvernement d’Aix-la-Chapelle : 345,000 catholiques, 12,000 protestans.

    Gouvernement de Munster : 300,000 catholiques, 40,000 protestans.

    Gouvernement de Trèves : même proportion.

    Dans ceux de Coblentz et de Dusseldorff, les catholiques sont aussi en très grande majorité, quoique la disproportion soit moindre.